Unuiĝo Franca por Esperanto
Biblioteko  Hippolyte  Sebert

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Voici une réédition numérique d’un discours de Claude-Ange Laisant, examinateur à l’École Polytechnique, sur le rôle de l’espéranto pour le progrès, datant de 1908. Il y est question de paix, de liberté et d’internationalisme.

On y lira aussi des notes sur l’histoire du mouvement espérantiste en France avec des remarques sur l’actualité de l’époque et sur la décevante "Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationale".

La brochure d’origine, de format 17×11 cm, contient 16 pages. En seconde partie, non reproduite ici, se trouve un très classique résumé de la grammaire. Ne sont pas non plus reproduites les annonces de couverture pour la collection "Paco-Libereco", pour "Internacia Socia Revuo" et pour "Les Anarchistes et la Langue Internationale Esperanto".


L’Esperanto
et
l’Avenir du Monde

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CONFÉRENCE
PRONONCÉE PAR
C.-A. LAISANT
Examinateur à l’École Polytechnique
À la Fête de Propagande
Organisée par l’Asocio « Paco-Libereco »
LE 19 JANVIER 1908

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Ce n’est pas sans hésitation que j’ai cédé aux instances des membres de l’Association « Paco-Libereco », en acceptant de venir vous parler aujourd’hui de la langue Esperanto. C’est qu’en effet bien d’autres eussent été mieux qualifiés que moi ; si paradoxal que cela paraisse, je me suis tellement consacré à la propagande de l’Esperanto que je n’ai pu trouver le temps de l’apprendre, et je m’en accuse humblement.

À la réflexion, il m’a semblé que cette ignorance même était un motif de plus pour ne pas me dérober. Si un homme de mon âge, sans avoir pu apprendre une langue, est arrivé cependant à en connaître assez la nature et les principes pour pouvoir en présenter publiquement un exposé synthétique, n’est-ce pas une démonstration péremptoire de la facilité qu’ont des personnes jeunes, pouvant s’y consacrer, pour en acquérir rapidement la pratique ?

Je m’empresse d’ajouter que, tout incapable que je sois d’user couramment de la langue Esperanto, je lis à peu près sans hésitation un texte ordinaire, ce que tout le monde peut faire après quelques jours d’étude tout au plus. Et, s’il me fallait l’écrire et le parler, j’y arriverais, également comme tout le monde, au bout de quelques semaines.

Pour être bien compris, je vous dois, ce me semble, quelques indications personnelles sur les circonstances qui m’amenèrent, il y a déjà plusieurs années, à m’occuper de cette question.

Depuis longtemps, je connaissais les travaux d’un mathématicien de très grande valeur, M. Ch. Méray, professeur à la Faculté des sciences de Dijon ; mais je n’étais pas avec lui en relations directes. Vers le début de l’année 1900, un ami commun me demanda d’obtenir l’insertion d’une lettre de M. Méray dans la Revue Générale des Sciences, lettre relative à une nouvelle langue internationale, l’Esperanto, dont le nom même était nouveau pour moi. J’intervins, la lettre fut acceptée, puis insérée, et M. Méray vint à Paris, me remercia, et fut le premier à me faire connaître l’histoire et les caractères essentiels de la langue en question. De là, entre lui et moi, des rapports d’amitié qui ont continué depuis lors et auxquels j’attache un grand prix.

Nous étions alors à quelques semaines de l’ouverture de l’Exposition et des nombreux congrès internationaux, qui pouvaient fournir une précieuse occasion de propagande. Tous deux, avec M. de Beaufront, l’infatigable apôtre esperantiste, nous fûmes assez heureux pour obtenir le concours et l’appui du Touring-Club de France, de l’Association française pour l’avancement des sciences, et de quelques autres Sociétés. La propagande fit dès lors de grands progrès ; nous allons dire tout à l’heure, où nous en sommes maintenant.

Mais auparavant, il faut que je vous explique comment et pourquoi, parti d’une quasi-indifférence empreinte de quelque scepticisme, j’en étais venu à me passionner pour la propagation de la langue nouvelle. Il m’avait suffi pour cela d’écouter MM. Méray et de Beaufront et de donner un coup d’œil à l’unique petit manuel existant à cette époque.

J’avais pu constater que la langue auxiliaire internationale créée depuis 1887 par le docteur Zamenhof était construite sur des bases extraordinairement logiques, d’une extrême simplicité, prodigieusement facile, en comparaison des langues naturelles. Le vocabulaire repose sur le principe de la plus grande internationalité ; la grammaire pouvant tenir en moins de deux pages, comprend 16 règles sans exceptions ; la prononciation est aisée pour tous les gosiers européens, et même pour les asiatiques, — l’expérience l’a prouvé depuis. À chaque signe répond un son, un seul ; à chaque son, un seul signe.

Mais je n’ai pas à vous faire ici une leçon, et le temps m’est mesuré. Pour justifier l’appréciation que j’émets, il me suffira de vous présenter une seule phrase, placée par M. de Beaufront en tête de l’une de ses brochures de propagande et souvent reproduite depuis. Je m’excuse de le faire auprès de ceux de mes auditeurs qui ont étudié l’Esperanto. Les autres reconnaîtront qu’il n’y a pas d’exagération à prétendre qu’on peut comprendre la langue sans l’avoir jamais apprise. Voici le texte :

Simpla, fleksebla, belsona, vere internacia en siaj elementoj, la lingvo Esperanto prezentas al la mondo civilizita la sole veran solvon de lingvo internacia ; ĉar, tre facila por homoj nemulte instruitaj, Esperanto estas komprenebla sen peno de la personoj bone edukitaj. Mil faktoj atestas la meriton praktikan de la nomita lingvo.

Évidemment, cette phrase, qui se comprend à la lecture, a été composée avec intention. Mais qu’on cherche à en faire autant pour une langue naturelle quelconque, et la comparaison sera convaincante.

En cette même année 1900, date décisive dans l’histoire de l’Esperanto, se produisit un événement important. Un professeur de l’Université, M. Léopold Leau, homme de très grande valeur, publia une brochure intitulée : Une langue universelle est-elle possible ? L’auteur, en principe, répondait affirmativement ; il connaissait déjà les efforts qui avaient été faits en faveur de la propagation de la langue Esperanto ; il était au courant des projets antérieurs, comme le Volapuk, et de l’échec qui avait suivi ; il savait que divers autres projets avaient été ou allaient être présentés. Dans ces conditions, il ne concluait pas d’une manière ferme en faveur de l’adoption d’une langue déterminée, et en particulier de la langue Esperanto pour laquelle il avait cependant des tendances favorables ; se plaçant à un point de vue plus élevé, sa conclusion était la suivante : procéder à la constitution d’une vaste Délégation où seraient représentés le plus grand nombre possible de sociétés : sociétés scientifiques ou littéraires, société commerciales, sociétés de tourisme, au besoin société mondaines s’occupant de choses intellectuelles. Cette vaste Délégation aurait pour mission de travailler à l’examen d’une langue internationale possible et d’arriver à pouvoir proposer définitivement le choix et l’adoption d’une langue déterminée qui paraîtrait la meilleure.

Cependant, désireux de faire arrêter ce choix par une autorité intellectuelle plus haute, se préoccupant des critiques qu’on pourrait adresser à la Délégation au point de vue de la compétence, M. Leau et ses collaborateurs, dont je fus, après une étude sérieuse de la question, proposèrent de confier le soin du choix définitif à l’Association internationale des Académies. Si l’Association s’y refusait, la Délégation procéderait alors elle-même à la nomination d’un comité qui serait chargé de cette mission.

Nous nous doutions bien tous un peu de ce qui arriverait, nous ne nous faisions pas de grandes illusions sur la première solution du problème. Les Académies ne peuvent rien créer : elles constatent des résultats, elles enregistrent, c’est tout ce qu’on doit raisonnablement leur demander. La question d’une langue internationale n’était pas alors assez avancée pour que les Académies, soit françaises, soit étrangères, soit même internationales, eussent l’audace de prendre une initiative et une responsabilité.

Elles refusèrent donc ; un comité nommé par la Délégation et composé d’une dizaine de membres environ, fut nommé ; il a pris une décision il y a quelques semaines.

Si je parle de cette question avec quelques détails, c’est qu’il est résulté de cette décision un état de choses un peu critique, qu’il ne faudrait pas cependant exagérer ; une certaine émotion s’est produite dans le monde des esperantistes ; mieux on connaîtra les faits, plus vite cette émotion pourra s’apaiser.

La Délégation dont j’ai parlé a compris la représentation de 307 sociétés ; 1.500 professeurs ou hommes de science en font partie ; elle semblait donc avoir une sérieuse autorité morale ; et il devait en être de même du comité nommé par elle, comptant des hommes de haute valeur, comité dont les travaux ont abouti à cette délibération d’octobre 1907. Elle peut se résumer ainsi : « Adoption en principe de la langue Esperanto, mais au prix de certaines modifications ; ces modifications sont indiquées avec quelques détails par le Comité et trouvent leur représentation dans un idiome nouveau qui porte le nom de Ido, signé de ce pseudonyme, et qu’adopte le Comité.

Cette langue modificative de l’Esperanto, si elle ne comprenait que de légers changements préalablement préparés et n’apportait aucune perturbation dans l’esprit de personnes qui ont déjà appris la langue du docteur Zamenhof, n’aurait aucun inconvénient et présenterait peut-être des avantages. Mais les modifications proposées sont profondes sur un certain nombre de points : le signe du pluriel, par exemple, représenté en Esperanto par un  j  qui a le son d’un  y, est remplacé par un  i ; l’infinitif des  verbes se termine en  ar  au lieu de  i ; l’alphabet est changé, etc.

Ainsi, les membres du Comité, avec la plus grande sincérité, il n’y a pas de doute à concevoir à ce sujet, ont cru faire œuvre utile, et perfectionner la langue existante ; mais à mon avis ils ont commis deux erreurs graves.

La première a été de s’enfermer dans une sorte de tour d’ivoire et de ne pas regarder suffisamment autour d’eux. La seconde est peut-être d’avoir trop de valeur, d’être trop exclusivement des savants, des linguistes distingués, des hommes très instruits ; leur amour pour la langue latine se révèle dans la proposition qu’ils nous apportent aujourd’hui : l’Ido exhale une odeur de latinité. Si cette proposition constituait réellement un progrès pour la langue Esperanto, — ce dont je doute fort, — peut-être il y a quatre ou cinq ans, aurait-elle eu quelque chance d’aboutir ; mais dès cette époque, mais sans cesse depuis 1900, continuait cette propagande esperantiste dont je vous indiquais tout à l’heure les débuts ; elle marchait à pas de géant, le mouvement ne s’arrêtait pas un seul instant, et c’est ce qui me conduit à vous dire maintenant où nous en sommes aujourd’hui.

Il existe actuellement de deux à trois cent mille personnes qui ont aujourd’hui l’usage, la pratique de l’Esperanto, s’en servent et travaillent à la propagande. Cet ensemble constitue ce que, dans une toute récente circulaire du comité de la Délégation, on appelle avec quelque ironie « le Peuple Esperantiste ». Ce peuple Esperantiste se compose en majorité de gens d’instruction élémentaire, qui ne sont pas des linguistes ; ces milliers d’humains se sont attelés à cette tâche avec ardeur, avec dévouement, avec passion ; il sont arrivés à la possession de cette langue, ils la propagent dans le monde entier. Si, après tant d’efforts et de succès, un petit cénacle d’hommes très savants viennent leur dire : « Il faut mettre à présent de côté tout ce qu’on vous a appris, nous avons trouvé mieux », — je dis qu’on fait ainsi une œuvre néfaste, ou stérile. Elle sera stérile, fort heureusement.

Pour vous donner une idée de la question, je ferai quelques emprunts à cette circulaire très significative, dont je viens de parler, et que j’ai reçue il y a deux jours. Elle est signée des secrétaires de la Délégation, MM. Couturat et Leau. Au début, ces messieurs déclarent que le droit du Comité était de porter son choix sur un idiome quelconque, parmi tous ceux qu’on pouvait lui présenter. Ce droit est incontestable ; le comité pouvait nous proposer le latin ou le chinois, c’était aussi son droit ; le nôtre était de ne pas l’écouter et de hausser les épaules. Au lieu de cela, le comité a choisi l’Ido.

Ici, je dois citer textuellement la circulaire :

« L’un d’entre les projets — dit-elle — signé du pseudonyme IDO, était représenté par quatre documents : une Grammaire complète, une Grammaire élémentaire, un Exercaro et un Spécimen de dictionnaire, les deux premiers imprimés, les deux derniers reproduits à la machine à écrire, mais tous également confidentiels et réservés aux membres du Comité. »

Ceci me rappelle que moi, qui fais partie de la Délégation, mais qui n’ai jamais été du Comité, j’ai reçu en son temps un petit exemplaire de cette grammaire Ido avec la mention : « très confidentiel ». J’en ai été surpris. Est-il nécessaire vraiment, pour chercher la meilleure langue internationale, de s’enfermer dans un cercle mystérieux, comme des diplomates préparant un mauvais coup ? Faut-il tenir autant à ce que des choses intéressant tout le monde ne soient à peu près connues de personne ? M. IDO, particulièrement, qui paraît être un linguiste de grande valeur, a vraiment trop de modestie. Il bouleverse l’Esperanto enfermé entre quatre murs ; mais on ne peut savoir qui il est. Faudra-t-il donc écrire sur les murs et crier par les rues : « As-tu vu IDO ? Qui est IDO ? » comme on criait autrefois : « As-tu vu Lambert ? » scie fameuse en vigueur il y a environ un demi-siècle. Nous espérons qu’avant un demi-siècle le mystère sera éclairci.

Du reste, dans cette circulaire, le souci du secret se manifeste avec une persévérence inquiétante. On s’attaque au Bureau central Esperantiste (Centra Oficejo) et au Comité linguistique (Lingva Komitato). « Il avait été entendu, dit-on, que les négociations se feraient dans le plus grand secret, conformément au désir formel du docteur Zamenhof ». J’ignorais ce désir ; si le docteur Zamenhof l’a exprimé, il a eu tort. Mais je continue : « Il avait été convenu que les décisions du Comité ne seraient pas publiées avant l’accord final, qu’aucune communication ne serait faite à la presse à ce sujet, et que le projet de IDO resterait secret et réservé aux deux Comités ».

Tout cela, paraît-il, avait pour but « de ne pas jeter le trouble dans les esprits ». Ce n’était pas le moyen, en tout cas, d’y jeter la lumière.

Enfin, on se plaint amèrement de ce que la presse ait été mise au courant, de ce que les décisions aient été publiées, et de ce que le Comité linguistique n’ait pas donné une réponse ferme « dans le délai d’un mois. »

La sagesse, comme le propose un manifeste récent de l’Internacia Scienca Revuo, de Genève, serait de n’apporter aucun entêtement de parti pris, aucune obstination, de garder le plus grand sang-froid et de ne repousser aucune amélioration raisonnable, si possible. Si le Comité de la Délégation n’en fait pas autant, il restera ce qu’il est : une petite réunion d’hommes distingués, constituant un état-major sans soldats.

Ce qui est un peu inquiétant — pour eux — c’est la révélation qu’ils nous apportent eux-même d’un état d’esprit singulier. Vous en jugerez par ce dernier emprunt fait à la circulaire si instructive que j’ai déjà citée : « L’Esperanto, dit-on, étant devenu pour certains chefs une sorte de religion, ils organisent, pour en exterminer les hérétiques, une véritable Inquisition. On ne craignait même pas de violer ainsi le secret des délibérations du Comité, et d’exploiter certains documents confidentiellement cités dans notre rapport ».

Ce matin même, j’ai reçu une petite brochure où l’on va plus loin, en précisant davantage. L’Esperanto, s’écrie-t-on modestement, traverse une crise pareille à celle marquée par la Réforme, dans l’histoire du catholicisme. Le Comité de la Délégation et M. Ido deviennent les Luther et Calvin de la situation.

Je pourrais répondre, en me rappelant le bûcher de Michel Servet, qu’il n’y a pas à se glorifier d’être un Calvin. Je pourrais dire également qu’il n’y a pas à se vanter outre mesure d’avoir superposé une absurdité à des absurdité précédentes.

Mais, ramenant la question à ses dimensions exactes, si ces messieurs de la délégation tiennent absolument aux comparaisons historiques, ils pourraient plus justement convenir qu’ils ont tenté un petit coup d’État — sans violence, car ce sont des gens paisibles et honnêtes — et que leur coup a raté. Plus précisément encore, et pour prendre un exemple dont personne n’a encore perdu le souvenir, leur procédure rappelle surtout les moyens qu’on emploie pour faire monter tout d’un coup certains appointements de 9.000 à 15.000 francs.

En résumé, le Comité de la Délégation a rempli son office, en examinant les divers projets de langue internationale, et en constatant qu’en somme l’Esperanto, sauf des perfectionnements toujours possibles, constitue la meilleure — on pourrait dire la seule — solution.

C’est fini, c’est fait. Nous pouvons et nous devons lui en garder notre reconnaissance, en regrettant — pour lui — qu’il n’ait pas eu la sagesse de s’en tenir là. On ne lui demandait rien de plus.

Pour comprendre l’impossibilité de la tentative de bouleversement dont il s’agit, il faut ne pas oublier que l’Esperanto, arrivé maintenant à sa vingt et unième année d’existence, compte un nombre d’adhérents qu’on peut évaluer, avec l’Internacia Scienca Revuo, de 200.000 à 300.000, comme je vous l’ai déjà dit. Trois congrès internationaux, dont le dernier comptait 1.300 membres de trente pays différents, en ont démontré la vitalité. Ses progrès sont résumés dans un tableau statistique dont je vous donne lecture :

 Commencement de 30
Juin
31
Déc.
30
Juin
31
Déc.
1904190519061906190619071907
Consuls 120170208
Sociétés de toute nature 116188306407482639865
Sociétés spéciales comprises dans les précédentes 281736456171
Journaux 19222729303845

D’après des renseignements complémentaires, trois journaux esperantistes nouveaux sont parus depuis le commencement de janvier, ce qui porte le dernier chiffre à 48 au lieu de 45, à l’heure présente.

Enfin, le tableau ci-dessous, que traçait mon ami Gabriel Chavet, en février 1907, comme conclusion de sa très instructive brochure : Où en sommes-nous ? est plus exact que jamais :

« Les adhésions nombreuses et enthousiastes qui viennent de tous côtés au mouvement esperantiste prouvent d’une manière éclatante que l’Esperanto n’est plus un essai, ou un projet, mais que c’est une langue qui vit et qui joue son rôle d’idiome international dans tous les milieux où cela est nécessaire. Les progrès de l’Esperanto constituent un fait qui détruit toutes les objections théoriques et ruine tous les scepticismes. L’Esperanto est un instrument de communication internationale employé par une grande partie de ceux qui en ont besoin. Ceux-ci s’en déclarent satisfaits jusqu’à l’enthousiasme. Cette constatation est plus importante que toutes les discussions ».

S’imaginer que tout cela va s’écrouler devant l’approbation académique donnée à un projet anonyme par des savants serait pure folie.

Aucun esperantiste raisonnable ne se refusera à des perfectionnements graduels, à des adjonctions nécessaires, étudiés préalablement par le « Lingva Komitato ». Mais aucun n’abandonnera l’Esperanto pour l’Ido. Tous persisteront à répéter avec Léon Tolstoï :

Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen, en consacrant quelque temps à l’étude de l’Esperanto, sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu’on ne peut pas se refuser à faire cet essai.

Mais quels sont donc ces « résultats immenses » dont parle le grand écrivain russe ? Quels sont les usages de l’Esperanto ? Quelles sont ses tendances ?

Voilà des questions qu’on a souvent posées, qu’on pose parfois encore. J’y répondrai tout d’abord en deux mots :

Quels sont les usages de l’Esperanto ? Tous ceux d’une langue quelconque,

Quelles sont ses tendances ? Toutes, et aucune.

De pauvres adversaires, n’ayant pas étudié un mot de la question, sont allés, dans leur ignorance et leur sottise, jusqu’à dire que c’était une entreprise antipatriotique, antifrançaise, le français étant la langue universelle par excellence, puisque la France est la première nation du monde. À merveille. Mais chaque nation ayant le droit de se croire la première du monde, peut tenir le même langage : et ceci, en dehors de la question de difficulté, démontre l’impossibilité de l’adoption d’une langue naturelle quelconque comme idiome international.

Une langue est un véhicule d’idées.

Une langue internationale est un véhicule d’idées entre des êtres humains qui, la veille, ne pouvaient se comprendre.

Et lorsque cette langue internationale est d’une acquisition facile, elle permet l’échange des idées entre ceux qui appartiennent aux catégories sociales les plus modestes, les plus humbles, qui ont une instruction extrêmement restreinte.

Que les commerçants et les industriels se servent de l’Esperanto pour écouler leurs produits ; les écrivains ou les savants, pour répandre leurs œuvres ou leurs découvertes ; les catholiques, pour publier des collections de prières, essayant ainsi de propager leur foi ; rien n’est plus naturel.

L’Esperanto peut servir à tout, et à tous.

Seulement, par la force des choses, tout ce qui porte en soi un caractère international, contient nécessairement un germe de pacification, d’entente et de progrès.

On ne doit donc pas s’étonner si des associations comme celle-ci ont apporté un zèle spécial à la propagande esperantiste.

Elles aussi veulent placer leur marchandise, et le crient bien haut ; cette marchandise se nomme Paix et Liberté ; elle est loyale, et l’humanité finira peut-être par l’accepter.

Elles aussi veulent propager leurs doctrines, qui reposent non sur la foi, mais sur la science ; non sur la révélation, mais sur la raison et la solidarité humaine.

C’est que la situation du monde — et particulièrement du monde européen — est bien digne d’attention à l’heure présente pour tout esprit attentif.

Le mouvement scientifique et industriel du dernier siècle a été prodigieux. Nulle période de l’histoire n’offre l’exemple de progrès aussi rapides et aussi grands. Mais, à côté de ces progrès matériels, nous constatons une stagnation morale et parfois un recul. L’écart est formidable. De là un malaise universel, de là une insécurité, un défaut d’équilibre incontestables. Il faut être cent fois aveugle pour croire à la stabilité d’institutions qui reposent partout sur l’injustice et l’exploitation de l’homme.

Ce contraste entre les conquêtes de la science et la barbarie de ce qu’on appelle les sociétés — sans doute par antiphrase — accroît encore l’état douloureux du monde, et montre mieux ainsi la fatalité de l’écroulement auquel sont destinées toutes les choses en putréfaction.

La Révolution est partout, plus ou moins visible, plus ou moins latente, mais universelle. Nulle des forces du passé n’en saurait arrêter la marche, si puissants que soient en apparence les moyens de violence, de corruption et d’oppression.

Aucun des faits du passé ne peut nous donner l’idée de ce que sera, de ce qu’est déjà ce mouvement général qui prépare l’effondrement de toutes les vieilles superstitions, de toutes les vieilles tyrannies, de toutes les formes violentes ou hypocrites de l’oppression. C’est qu’un principe nouveau a fait son apparition ; il s’appelle l’internationalisme. Résultat des applications de la science et surtout de la plus grande facilité des communications, il s’impose avec une force souveraine.

À chaque instant, nous voyons en des congrès internationaux, se réunir les représentants de telle ou telle science, ou de telle manifestation particulière de l’activité humaine. Les gouvernements eux-même y prennent part, lorsqu’ils coopèrent à ces conférences un peu platoniques pour la paix, dont quelque bien cependant ne peut manquer de sortir.

Il n’est pas jusqu’à la Finance, cette dernière des religions, la seule réellement vénérée désormais, qui ne prenne, elle aussi, un caractère international. Je n’en voudrais pas d’autre preuve que cette association de MM. Schneider et Krupp, du Creusot et d’Essen, de la France et de la Prusse financière, qu’on dénonçait, il y a un mois, en pleine Cour d’assises, sans recevoir de démentis. Je ne m’en indigne nullement.

Mais, lorsque se ropprochent ainsi, par dessus les frontières, tous ceux qui ont des idées communes ou des intérêts communs, lorsque les exploiteurs associent leurs efforts sans distinction de nationalités, il est naturel de voir se rapprocher aussi les exploités ; il est naturel qu’ils se concertent.

Cependant, on ne se rapproche, on ne se concerte qu’à la condition de se comprendre. Et c’est en cela que l’existence d’une langue internationale, d’un idiome auxiliaire commun est appelée à jouer un rôle des plus importants dans le mouvement qui emporte l’humanité vers l’avenir.

Cette langue ne doit pas être le privilège d’une élite, d’une aristocratie, intellectuelle ou autre. Il faut qu’elle soit accessible à tous, d’une acquisition aisée pour quiconque sait lire et écrire.

L’Esperanto présente justement ce caractère, et c’est ce qui en fait la haute importance. Il serait absurde de voir dans une langue internationale quelconque un gage assuré de la pacification universelle ou du bonheur futur de l’humanité. Un idiome n’est pas une cause de transformation sociale, c’est un instrument, qui reste à la disposition de tous ; mais lorsque cet instrument est international, simple et logique, il s’adapte merveilleusement à la cause que soutiennent les amis de la Paix et de la Libération humaine.

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » — disait un manifeste célèbre.

Pour s’unir, il faut se comprendre.

« Prolétaires de tous les pays, parlez une langue commune et enseignez cette langue à vos enfants ! » — pourrait-on dire aujourd’hui.

Plus modestement, et m’adressant à ceux qui m’écoutent, je me bornerai à vous dire à tous : Venez à l’Esperanto ! parce qu’il peut servir à tous pour vos relations internationales.

Et, à ceux qui partagent nos idées sur la Pacification du monde, sur la Libération des cerveaux et des corps, et sur les transformations véritables des Sociétés actuelles : Venez aux associations telle que la « Paco Libereco » ; c’est là qu’est le progrès, c’est là qu’est l’avenir !

C. LAISANT.

 

 


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