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Coupure de presse de Paris-Midi annonçant la mort de L. Zamenhof :

Paris-Midi, 17 Avril 1917  (Maurice de Waleffe) :
"…on doit traiter l'esperanto comme une religion, dont Zamenhof était le Messie, puisqu'il l'avait fondée, en s'entourant d'apôtres auxquels il commanda…"
"…Zamenhof eut son Jean-Baptiste en la personne d'un Boche du grand-duché de Bade, Johann Schleyer, qui prêcha le volapük…"
"…illusion d'une langue basée sur la logique pure…"
"…il faut prendre une langue vivante, déjà fixée (…) Ce sera l'anglais ou le français…"


Paris-Midi, Mardi 17 Avril 1917 :

 

Paris-Midi, 17 Avril 1917

BILLET DE MIDI


Le vénérable docteur Louis Zamenhof, qui vient de mourir à Varsovie, chargé d'ans et de gloire, était le Messie. Du moins est-il révéré comme tel par plusieurs milliers de fidèles épars sur toute la surface du globe. Il en compte en Angleterre et en France, mais il en compte aussi au Japon et aux antipodes. Et des fidèles terriblement remuants ! Ils ont le diable au corps, comme tous les fanatiques d'un nouveau dieu.

Cette religion s'appelle l'esperanto. Elle s'occupe de cette vie-ci, non de l'autre. Mais si l'on a le droit d'appeler « religion » toute croyance passionnée qui relie les hommes entre eux — religare : relier — si l'on dit la religion de l'art, de la science, de la charité ou du patriotisme, on doit traiter l'esperanto comme une religion, dont Zamenhof était le Messie, puisqu'il l'avait fondée, en s'entourant d'apôtres auxquels il commanda : « Allez ! Enseignez toutes les nations ! » Et s'il n'eut pas besoin de leur communiquer le don des langues, c'est que précisément l'évangile qu'il leur confiait comportait la disparition de toutes les langues, remplacées par une seule, l'esperanto !

Le docteur Zamenhof n'a pas inventé l'idée d'une langue unique. Cette « nouveauté » doit être juste aussi vieille que la tour de Babel. Mais le christianisme lui-même était-il absolument original quand il nous arriva de l'Inde à travers la doctrine de Jean-Baptiste et des Esséniens ? Zamenhof eut son Jean-Baptiste en la personne d'un Boche du grand-duché de Bade, Johann Schleyer, qui prêcha le volapük vers 1879.

Je ne me charge pas de vous expliquer en quoi l'esperanto fut tellement supérieur au volapük qu'il put s'affirmer la religion définitive, mais le fait est qu'il fut consacré comme telle au grand congrès des fidèles à Paris, qui se tint, si je ne me trompe, l'année de l'Exposition de 1900. Aujourd'hui, il n'y a plus de volapückistes, ils sont tous espérantistes. Et cela vaudrait la peine de se mettre à étudier l'esperanto, si celui-ci, hélas ! ne venait tout justement d'être détrôné par l'ido, qui est encore quelque chose de bien plus perfectionné ! Les idistes ne parlent déjà plus des espérantistes que comme de malheureux attardés. Alors, avant d'étudier l'ido, si vous le permettez, j'attendrai de nouveau une quinzaine d'années, dans la crainte que les idistes ne soient à leur tour considérés comme de simples idiots par les sectateurs d'une autre langue artificielle qu'on serait en train d'inventer quelque part à l'heure où je me bourrerais le crâne de substantifs idistes.

Et c'est ici qu'apparaît l'illusion à laquelle l'excellent docteur Zamenhof a consacré sa vie, l'illusion d'une langue basée sur la logique pure.

Les savants linguistes qui proclameraient que la perfection est atteinte et défendraient d'y toucher, seront toujours désarmés contre les chercheurs de mieux.

Si nous voulons qu'un jour les seize cents millions d'habitants de la planète parlent une seule langue — ce que je souhaite de tout mon cœur, et ce qui est plus réalisable qu'on ne croit, car on exagère les différences de gosier — il faut prendre une langue vivante, déjà fixée, échappant aux fantaisies des savants et possédant son régulateur dans une des trois grandes capitales du monde : Paris, Londres ou New-York. Ce sera l'anglais ou le français. Tâchons que ce soit les deux ensemble !

 

MAURICE DE WALEFFE      

 


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