Unuiĝo Franca por Esperanto
Biblioteko  Hippolyte  Sebert

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Voici une réédition numérique d’une conférence de Julien Guadet à la Sorbonne datant de 1929, et précédent celle de 1930 : L’Enseignement de l’espéranto.

Il y est question de l’aptitude de l’espéranto à traduire toutes les nuances des langues dites naturelles.

L’argumentaire repose sur l’élégance, la simplicité, la précision de la langue espéranto, compare le génie de la langue française avec celui de l’espéranto, considère la langue comme instrument de pensée et de culture. Des exemples dans l’expression des nuances sont donnés.

La brochure d’origine, de format 23½×13½ cm, contient 22 pages, dont le texte est ici entièrement reproduit. On s’est efforcé de restituer la mise en page avec ses sous-titres en marge. Cette brochure a connu des réimpressions.


Julien GUADET

 

LA VALEUR PÉDAGOGIQUE
DE L’ESPERANTO

 


Julien GUADET
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure
Professeur au Lycée Hoche

 

LA VALEUR PÉDAGOGIQUE
TANT INTELLECTUELLE QUE MORALE
DE L’ESPERANTO

 

LES OCCASIONS QU’IL OFFRE DE RAPPROCHEMENT DE PEUPLE A PEUPLE
 
LES PROFITS QU’EN POURRA TIRER LA FRANCE
SI ELLE SAIT A TEMPS S’INTÉRESSER A LA CAUSE ESPÉRANTISTE

 

CONFÉRENCE
faite à la Sorbonne, le 3 Février 1929
sous les Auspices du
GROUPE ESPÉRANTISTE DE PARIS
et sous la présidence de

M. CAZALS
Président de la Commission de l’Enseignement de la Chambre des Députés

 

1929


Reproduction totale ou partielle autorisée dans tous journaux ou périodiques.


LA VALEUR PÉDAGOGIQUE DE L’ESPERANTO

 

 

      MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

 

Je tiens à vous remercier tout d’abord du grand honneur que vous nous faites aujourd’hui. En acceptant de présider cette conférence, vous avez donné aux espérantistes un témoignage d’estime dont ils apprécient toute la valeur. Président de la Commission de l’Enseignement de la Chambre des Députés, et alors que votre attention est sollicitée par tant de problèmes difficiles que comporte l’organisation toujours meilleure de notre éducation nationale, vous osez, par votre présence ici, affirmer que la question de l’esperanto est l’une de celles qui, désormais, s’imposent à l’attention publique. Les espérantistes marqueront avec joie cette journée d’une pierre blanche.

L’incompréhension, l’indifférence, l’hostilité même, voilà le sort qui d’ordinaire attend les précurseurs. Comme d’autres, nous avons connu ces épreuves. Mais, sûrs de notre cause, nous pouvions attendre. Ceux qui, aux mauvais jours, fidèles à leurs postes, n’ont pas désespéré de l’avenir, sont aujourd’hui, j’en suis certain, heureux et fiers des temps nouveaux qui s’annoncent. Votre geste, Monsieur, effacera le souvenir de bien des amertumes. Permettez-moi, au nom de tous, de vous dire de tout cœur : merci.

 


 

      MESDAMES,

      MESSIEURS,

 

C’est un paradoxe sans doute, au jugement des profanes, de proclamer l’éminente valeur pédagogique des études espérantistes : et c’est pour réduire ce scepticisme préliminaire que nous nous proposons de montrer les profits intellectuels et moraux que les enfants tirent des études élémentaires, que les jeunes gens doivent tirer des études plus poussées.

Simplicité
de l’esperanto

La simplicité, toute rationnelle, de l’esperanto est belle : les règles sont sans exceptions, les rôles grammaticaux des mots résultent sans ambiguité de leurs formes, les irrégularités sont inconnues. Une impression se dégage de sobre harmonie, et qui touche l’enfant même. Dès sa première leçon, il s’étonne, et admire cette belle ordonnance. Que de fois nous avons entendu, les uns et les autres, ses exclamations joyeuses ! D’emblée, il est conquis. Et voilà un excellent début, quand il vient au travail avec ardeur et plaisir.

L’étude
attrayante

Jour par jour il pénètre plus avant dans la technique de la langue. C’est le jeu si souple et si joli des préfixes et des suffixes, c’est la conjugaison, si simple qu’en vingt minutes elle est apprise, comprise et sue, c’est le tableau des mots simples, qui n’a d’analogue dans aucune autre langue. L’intérêt ne fléchit pas, l’étude reste attrayante et joyeuse. Tout de suite, dès la deuxième ou troisième leçon, l’enfant est en état de faire ses premiers thèmes et ses premières versions. C’est une initiation qui ne va pas sans quelque émotion, la même qu’il éprouvait quelques années auparavant, lorsqu’il fit ses premiers pas sans être tenu par la main. Puis voici que bientôt ses maîtres peuvent lui proposer des textes suivis, intéressants : s’il s’était agi d’une autre langue, ce n’est qu’après de longs mois, ou peut-être de longues années d’étude, qu’ils lui eussent fait aborder de tels textes.

Premiers
profits
intellectuels
   
   
   
L’esperanto
école
de précision

Le profit intellectuel s’affirme déjà, au cours de ces rapides semaines du début. Des habitudes d’ordre et de méthode naissent de ce contact permanent avec la langue la plus ordonnée et la plus méthodique qui soit, des habitudes de probité intellectuelle aussi. Dans cette langue agglutinative, où les mots sont constitués par la juxtaposition d’éléments ayant chacun un sens propre et précis, les escamotages, les à peu près, les petites lâchetés de traducteurs indolents sont impossibles. Il faut tout voir par le menu, il faut pénétrer le sens et le rôle grammatical exact des mots, pour pouvoir les rendre. Pour traduire la phrase « il parle fort », il faut de toute necessité savoir si « fort » est ici adjectif ou adverbe, puisque la forme grammaticale sera différente d’un cas à l’autre, et répondra précisément à la question ; il faut en même temps voir si l’idée est de force, ou d’élévation de la voix, pour choisir le radical convenable. Pour traduire « ce petit chat est propre », il faut voir qu’ici le mot « propre » indique un instinct, une habitude, et ne constate pas le fait fortuit qu’actuellement son pelage n’est pas souillé de boue ; il faudra traduire par « purema » et non pas par « pura », le suffixe em indiquant l’inclination ou l’habitude. Pour traduire en français l’expression « la pliriĉiĝado de la lingvo », « l’enrichissement de la langue », il faut décomposer ce mot « pliriĉiĝado » en quatre éléments, sans compter la terminaison grammaticale o qui indique un substantif, quatre éléments qui seuls se trouvent au dictionnaire : pli, qui veut dire plus, riĉ, qui est le radical de riche, , suffixe indiquant l’acquisition d’une qualité, ad, suffixe indiquant la durée ou la continuité de l’action. C’est donc le fait permanent de devenir plus riche, c’est l’enrichissement continu. Mais si nous analysons de plus près le mot, il apparaît une nuance encore que nous n’avons pas rendue. Le suffixe indique que cet enrichissement se fait par un travail intérieur, par l’évolution propre de la langue, et non par un apport extérieur, par l’action d’un agent étranger, ce qui correspond au suffixe ig. Et pour traduire, avec toutes ces nuances, le membre de phrase : « dum la pliriĉiĝado de la lingvo », nous pourrons modifier la tournure grammaticale de la phrase, et dire : « tandis que la langue s’enrichit toujours ». Si le texte proposé donnait le suffixe ig, qui implique l’agent extérieur, « dum la pliriĉigado de la lingvo », nous pourrions dire : « au cours du travail d’enrichissement de la langue ».

Les
difficultés
de toute
traduction

Sur cet exemple d’ailleurs apparaît l’une des grosses difficultés de toute traduction : lorsque le texte indique une nuance, et qu’il est impossible de la rendre par une touche légère, lorsque le traducteur n’a d’autre choix que de laisser tomber la nuance, ou de dire explicitement ce qui n’était qu’indiqué ou à peine suggéré, que doit-il faire ? La réponse ne sera pas toujours la même : et les bons maîtres ont ici l’occasion d’éveiller chez leurs élèves quelques qualités de mesure, de goût, de tact. Faut-il aussi sacrifier la fidélité à l’élégance ou l’élégance à la fidélité ? Peut-on se permettre certaines libertés de traduction, telles que tournures grammaticales modifiées ? Doit-on préférer les traductions précises mais lourdes, aux belles infidèles ? Ici la règle doit être : fidélité d’abord. Mais il y faut encore, comme en toutes choses, un certain tempérament ; et, à certains textes qui valent surtout par le tour et la forme, à des textes d’inspiration poétique notamment, la fidélité même peut être faite d’élégance d’abord.

L’esperanto
comparé
au latin

Et ne voilà-t-il pas que pour bien traduire un texte d’esperanto, nous allons connaître toutes les difficultés de la version latine ? Eh oui ! et ne nous en plaignons pas : c’est par ces difficultés que la version latine est éducative, c’est par ces mêmes difficultés que la version espérantiste le sera également ; mais elle le sera plus vite, parce que plus vite l’enfant sera en état d’aborder les textes délicats. Et si quelqu’un vient nous objecter que nous sommes loin de la simplicité si vantée de la langue artificielle, nous lui répondrons que l’esperanto est et reste merveilleusement simple et clair, mais que bien des difficultés de traduction viennent du français, qui est une langue difficile ; et nous ajouterons encore qu’à des pensées délicates il faut toujours des expressions délicates, et que si l’esperanto n’avait pas eu la possibilité de les exprimer, ce serait un défaut très certain : nous avons suffisamment montré déjà, et nous le ferons encore en parlant du thème, qu’il ne saurait encourir ce reproche.

L’élégance
de l’esperanto

Et ceux qui pouvaient craindre que cette langue d’une logique trop mathématique ne manquât d’élégance et de souplesse nuancée, qu’elle ne parût trop aride, que son uniformité grammaticale, que son ordonnance géométrique, pourrait-on dire, n’engendrassent l’ennui, doivent être rassurés je pense. L’ordonnance géométrique des parcs de Le Nôtre n’engendre pas l’ennui, que je sache, et les jardins de Versailles ont inspiré plus d’un poète. Les langues nationales ont des tours charmants, comme les sentiers d’une forêt. L’esperanto a les larges allées d’un jardin à la Française : il est bien dans le génie de notre race, et ce n’est pas cela qui peut diminuer ses mérites à nos yeux.

 

Les données
de l’expérience

Quelles sont, d’autre part, les données de l’expérience ? Qu’a-t-on observé chez les enfants qui ont étudié l’esperanto ?

Sceptiques, écoutez ces faits constatés, contrôlés, certains.

L’étude
de l’esperanto
abrège
l’étude
ultérieure
des autres
langues

Dans une école d’Angleterre, on devait préparer les élèves, en deux ans, à un examen comportant une épreuve de français. Depuis toujours il était impossible de réaliser une préparation satisfaisante à cette épreuve de langue étrangère. La directrice, — c’était une école de filles, — eut alors l’idée hardie de substituer à l’enseignement du français, d’une durée de deux années, deux enseignements successifs de un an chacun, d’esperanto d’abord, de français ensuite. Elle obtint l’autorisation de procéder à cette expérience dans l’une seulement des deux classes parallèles. Ce fut un même professeur qui enseigna dans les deux divisions, d’une part le français pendant deux ans, d’autre part l’esperanto puis le français pendant un an chacun. En fin d’études, on fit un classement général des élèves ; et la supériorité de celles qui n’avaient qu’un an de français apparut évidente. Ainsi, le temps distrait de l’étude du français pour procéder à l’étude préalable de l’espéranto avait été plus que regagné. Les élèves avait appris, par leur étude première, à apprendre une langue. N’est-ca pas là un premier effet de cette loi connue, que, pour un polyglotte, l’acquisition d’une langue nouvelle n’est qu’un jeu ?

L’éveil
des esprits
par
l’esperanto

Ailleurs, un inspecteur constate que les élèves qui ont étudié l’esperanto manient avec plus de sûreté leur langue maternelle, qu’ils savent faire un choix plus judicieux des termes qu’ils emploient, que l’étude de l’esperanto a eu, pour eux, les mêmes effets salutaires que, pour d’autres, l’étude des langues classiques. Il constate que les lettres et les cartes qu’ils échangent en esperanto avec des enfants de pays divers et lointains ont développé chez eux un goût marqué pour la géographie : leur curiosité s’aiguise, concernant les pays de leurs nouveaux amis. Et, pour terminer, cet inspecteur confesse sa foi de néophyte, qui, malgré son âge mûr, se met à l’étude de la langue. Cependant le directeur de l’école constate que, dans les classes où on étudie l’esperanto, il ne se trouve plus d’élèves rétifs, que même les plus faibles s’intéressent à l’enseignement du maître. Ne nous étonnons pas : trop souvent les élèves rétifs ne sont que des élèves découragés, qui ne voient pas de buts prochains à leurs efforts éventuels, et, pour cette raison, préfèrent ne pas donner d’efforts. Dès que le but prochain apparaît, ils sont éveillés de leur torpeur. Et l’esperanto a cette vertu, qui n’est pas commune à toutes les langues, que les élèvent touchent au but, et arrivent à le savoir vraiment.

Une atmosphère
de joie et
une atmosphère
de bonté

On a constaté encore, et de divers côtés, que les enfants sont sensibles au haut idéal que porte en soi la langue auxiliaire internationale. Retenons et méditons ce mot de M. Pierre Bovet, directeur de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève : « Au total, nous avons constaté que l’enseignement de l’esperanto, partout où il a été introduit, crée une atmosphère de joie et une atmosphère de bonté. C’est bien quelque chose. »

 

Les études
plus poussées

Nous n’avons parlé jusqu’à présent que des études élémentaires d’esperanto, faites par des enfants ou des adolescents. Il est temps de parler maintenant des études plus poussées, qui exigent un affinement d’esprit et une maturité qui ne sont pas du premier âge, des études telles que peuvent les poursuivre des jeunes gens. Ils pourront d’ailleurs, même s’ils n’ont pas au préalable une connaissance élémentaire de l’esperanto, très rapidement aborder les études poussées dont nous voulons parler, si du moins ils ont une culture intellectuelle acquise alors par d’autres moyens : ils déblayeront vite les premiers éléments.

 

Les
pauvres
moyens
oratoires de
Crainquebille

Vous connaissez l’histoire de Crainquebille, pauvre marchand ambulant, injustement inculpé d’outrage à un agent de ville. Aux questions du président, à l’audience, il ne sut pas répondre. Il ne prononça que quelques paroles incohérentes, inintelligibles, et qui ne le disculpaient aucunement du cri séditieux qu’on lui imputait à tort. Une dernière et bien simple question du président lui offrait encore l’occasion de s’expliquer. Mais c’était trop difficile pour lui, il dut y renoncer. Relisez ce récit si vrai d’Anatole France, et méditez ce qu’il nous dit des sentiments de Crainquebille après la condamnation : « Crainquebille, reconduit en prison, s’assit sur son escabeau enchaîné, plein d’étonnement et d’admiration. Il ne savait pas bien lui-même que les juges s’étaient trompés. »

Or Crainquebille savait sans doute, comme nous tous, dire les paroles nécessaires pour acheter quatre sous de pain. Mais la langue parlée courante, la langue des besoins journaliers, si colorée et si expressive parfois, est bien pauvre d’idées. Elle ne saurait suffire pour se dégager d’ « imputations imprévues », non plus d’ailleurs que pour analyser la philosophie stoïcienne ou décrire les splendeurs des mers orientales.

Crainquebille, vous l’avez remarqué, sur une dernière question, renonce à s’expliquer. « C’était trop difficile ». Pourtant les explications à donner, cette fois-ci, n’exigeaient aucun terme savant. Mais il fallait classer, coordonner deux ou trois idées élémentaires. Et cela, il ne savait pas le faire. Etait-il sot ? Non pas. Mais les idées nettes, les idées claires, les idées classées s’élaborent dans une langue. La pensée analytique présuppose son expression : la pensée analytique, c’est-à-dire toute pensée scientifique précise.

Crainquebille enfin, revenu dans sa prison, « ne savait pas bien lui-même que les juges s’étaient trompés ». Incapable d’expression, incapable d’analyse, il apparaît maintenant incapable de pensée. Il n’a pas la certitude de son droit, de la justice de sa cause : les mots de droit et de justice lui sont sans doute inconnus ou presque ; ils n’ont jamais en son esprit fait éclore un concept précis.

La langue
instrument
de pensée

L’exemple de Crainquebille est peut-être bien gros. Je crois cependant qu’en présentant un cas extrême, il met en pleine lumière cette vérité trop souvent méconnue :

Il n’est pas exact que le langage soit simplement l’expression par la parole de la pensée préexistante. La pensée claire ne préexiste pas à son expression.

Les peuples
qui n’ont
à leur
disposition
qu’une langue
imparfaite

On pense dans une langue. Et ceux qui n’ont pas à leur disposition, en certains domaines du moins, cet instrument de pensée, ne peuvent avoir, en ces domaines, que des idées images, c’est-à-dire des idées confuses et floues. Il est des peuples qui n’ont à leur disposition qu’une langue imparfaite : ceux qui, naguère encore en servitude, ne pouvaient avoir aucune vie intellectuelle. Nous assistons à l’effort admirable de ces peuples jeunes pour se créer une langue riche, nuancée, précise. C’est une nécessité pour eux, s’ils veulent arriver au pair de la civilisation occidentale. Mais c’est un travail de longue haleine, et ceux même qui ont recouvré leur liberté il y a cent ans et plus n’ont pas terminé ce travail d’adaptation. Et, parce que les pensées valent au plus ce que vaut la langue où elles s’élaborent, ils ont encore des réactions intellectuelles qui restent une surprise pour les vieux civilisés que nous sommes.

La crise
de la pensée
française

Il existe, dit-on, une crise du français, nos jeunes gens ne savent plus écrire. Hélas ! je crains bien qu’ils ne sachent plus penser, ce qui est singulièrement plus grave, mais fatal. A tout prix, il faut conjurer cette crise, qui peut marquer la fin de la civilisation française.

La sauvegarde
de la
civilisation
française

La civilisation, ce n’est ni les chemins de fer ni le téléphone. Si ce n’était que cela d’ailleurs, la France ne serait pas à la tête des nations. La civilisation, c’est autre chose et plus, c’est la délicatesse morale, c’est la finesse intellectuelle. Pour sauvegarder ce patrimoine sacré, il faut d’abord sauvegarder la langue française. Il faut assurer à l’élite intellectuelle de notre jeunesse la pleine acquisition du français, dans ses nuances les plus fines. Il faut lui enseigner le sens des mots.

La composition
française
et la version
latine

Or, quels moyens propose-t-on pour enseigner le français aux jeunes Français ? Deux principaux : la composition française, et surtout la version latine. Les vertus éducatives de la version consciencieusement faite s’expliquent aisément. Dans la version, l’idée qu’il faut exprimer est imposée. L’élève a plus de profit à lutter pour rendre fidèlement une pensée de maître, qu’à rédiger à sa guise une plate conception d’écolier. Dans la composition française, — où le néant de la pensée peut même supprimer toute recherche d’expression, — trop souvent il abandonnera, parmi les pauvres idées qu’il peut avoir, celle dont la formule précise se dérobe à son esprit, il ne retiendra que celle dont l’expression lui apparaît facile, et trop facile. Toute traduction a cette supériorité sur la composition libre, d’être précisément moins libre.

 

Traduire !    

Traduire ! Donnons à ce mot son sens le plus grave, évocateur de difficultés affrontées et vaincues, le sens qu’il devait avoir pour un Quicherat ou un Burnouf, et voyons si l’esperanto n’est susceptible, comme le pensent ceux qui l’ignorent, que de vulgaires transpositions, ou s’il donne l’occasion de traductions aussi délicates, aussi instructives que celles des latinistes.

Les domaines
des sens
des mots
n’ont pas
d’une langue
à l’autre
leurs limites
en coïncidence

Le domaine des sens d’un mot, l’ensemble des concepts qui correspondent à un vocable particulier, n’ont pas, en général, d’une langue à l’autre, leurs limites en coïncidence. La simple transposition, mot par mot, est impossible, plus d’ailleurs entre le latin et le français qu’entre le français et une langue occidentale moderne : nous sommes mentalement plus loin des anciens latins que de nos contemporains occidentaux. Il ne s’agit point ici de savoir si telle langue moderne est morphologiquement plus différente du français, et a une syntaxe plus éloignée de la nôtre. C’est sous l’aspect de la sémantique, c’est-à-dire du sens des termes, qu’il faut établir la comparaison, et assurément les idées exprimées par les mots latins ne sont pas les idées de la civilisation moderne. Ce mot même de « civilisation » peut servir d’exemple. Il a d’exacts équivalents en allemand, en anglais, en italien, en espagnol ; il n’en a pas en latin.

L’opinion de
Louis Havet

Lorsque Louis Havet développait ces pensées qui lui étaient chères, il les appuyait sur l’exemple de « ratio », qu’il faudra rendre tantôt par raison, tantôt par compte, tantôt par système, tantôt par proportion, tantôt par méthode, et ainsi de suite. Et il ajoutait : « Qui traduit du latin en moderne doit opérer non sur les mots latins eux-mêmes, mais sur les idées qu’ils se trouvent momentanément exprimer. Le traducteur d’une langue moderne permute les mots d’abord, puis comprend par les mots ; le traducteur du latin doit d’abord avoir compris ; c’est après qu’il choisit les mots. »

Le domaine des sens de « ratio » d’une part, les domaines des sens de raison, de compte, de système, proportion, méthode d’autre part empiètent réciproquement les uns sur les autres, ce qui est infiniment plus complexe que si le domaine du mot latin englobait simplement les domaines des mots français. C’est cet empiètement réciproque qui fait les difficultés de la traduction latine, et par suite sa valeur éducative.

L’empiètement
réciproque
des sens
du français
à l’esperanto

Eh bien ! cet empiètement réciproque, le trouvons-nous entre le français et l’esperanto ? Oui, et voici pourquoi.

Le domaine des sens d’un mot d’esperanto est déterminé par la logique. Le domaine des sens d’un mot français est déterminé par l’évolution historique de la langue, qui a eu bien des caprices d’illogisme. A priori même, il ne peut y avoir coïncidence.

Et c’est ce que l’on constate. Deux exemples vont le montrer.

  L’adjectif  
prava

Prenons l’adjectif « prava ». Il n’a aucun équivalent français dans son sens initial. S’appliquant à l’être pensant, il signifie : qui a raison, dont l’opinion est conforme à la vérité. Par extension, il s’applique à la pensée elle-même, et sert à qualifier la pensée juste. Il faudra le traduire tantôt par juste, tantôt par vrai, tantôt par fondé, par légitime, par exact. Cependant, « juste » se traduira par justa (une sentence juste), par ĝusta (une expression juste), par prava (une pensée juste), et autrement encore dans d’autres cas : habit juste, heure juste, coup juste. Ainsi les domaines de prava d’une part, de juste d’autre part, empiètent l’un sur l’autre sans englobement.

  L’adjectif  
vigla

De même pour traduire l’adjectif « vigla », nous aurons à choisir entre vif, frais, éveillé, dispos, plein d’entrain, dégourdi, leste, actif, énergique, vigilant ; cependant que, partant du français « vif », nous devrons, parlant d’un enfant vif, employer vigla, d’un ouvrier vif rapidaga, d’un caractère vif koleretema, d’un souvenir encore vif viva, d’une allure vive rapida, de roche vive kruda, d’eau vive fluanta, de froid vif akra, de feu vif arda, de couleur vive brila, d’apostrophe vive malmilda, de sentiment vif forta ou ega. Le choix est large à la sagacité de nos élèves.

Les rares
vertus
éducatives
des études
esperantistes

Le profit sera grand de connaître le domaine d’un terme d’esperanto, car il correspond au domaine de la pensée pure. L’extension des sens d’un terme correspond à l’extension naturelle de l’idée. Si l’on se souvient, en outre, que par le jeu des affixes, la forme même d’un mot en constitue une définition, on avouera que les études espérantistes ont de rares vertus éducatives, — sous la condition, du moins, qu’on les pousse assez loin pour apprendre d’autres paroles que celles nécessaires pour acheter quatre sous de pain.

C’est ainsi une sérieuse gymnastique intellectuelle qu’offrent les traductions esperantistes, comparable à celle qu’offre la version latine. En faveur des études latines, il est des arguments considérables d’ordre littéraire, d’ordre historique. Par contre, il est peut-être plus aisé, lorsqu’il s’agit d’esperanto, de conduire les jeunes gens jusqu’aux exercices profitables : car, lorsqu’il s’agit du latin, pour arriver à pied d’œuvre, il faut qu’ils aient déjà suivi un bien long cycle d’études sur les rudiments indispensables : combien arrivent à une connaissance suffisante de la langue pour en tirer un plein profit ?

Le thème
doit avoir le pas
sur la version.

 

Dans les études espérantistes, — et c’est là un point qui les différencie des études latines, — le thème doit avoir le pas sur la version.

Exemples de
traductions :
   
texte de
M. Lanson

Le travail, ici, sera d’analyse de la pensée française, de synthèse pour former l’expression espérantiste. Si nous prenons cette phrase de M. Lanson, parlant de Mirabeau : « Il faut se défier de l’orateur, mais on peut apprendre du publiciste », la traduction du terme publiciste présente quelques difficultés. Hatzfeld donne du mot cette définition : « Celui, celle qui écrit sur le droit public, la politique ». Il semble d’ailleurs que M. Lanson, dans le passage d’où cette phrase est extraite, vise les discours au moins autant que les écrits de Mirabeau. M. Grosjean-Maupin, — c’est à lui que j’emprunte tous mes exemples, — propose la traduction « politika debatisto », qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer, même pour les profanes, mais qu’il fallait trouver.

Texte
de Lavisse

Prenons cette phrase de Lavisse : « La Rochefoucauld est un moraliste à la française, sans métaphysique, presque sans obscurités, immédiat, par qui l’on est directement saisi, profond sans le dire ». Comment allons-nous traduire « à la française » ? L’esperanto n’ayant pas d’article indéfini, — comme le latin d’ailleurs, — nous devons nous défier d’une amphibologie possible, que d’ailleurs le contexte suffirait à rejeter, mais qu’il faut néanmoins éliminer de l’expression même. Si nous traduisons « laŭ la franca modo », « à la mode de France », on pourrait comprendre que La Rochefoucauld est moraliste parce qu’en France il est bien porté d’être moraliste. Le sens est tout différent : La Rochefoucauld est un moraliste avec les qualités françaises. Il faudra traduire : « laŭ franca maniero ».

Texte de
Beaumarchais

Voici une phrase de Beaumarchais : « Ainsi l’homme le plus vaillant, le plus grand général du siècle aurait compté pour rien l’honneur, le patriotisme et la gloire ! Un misérable calcul d’intérêt eût été, selon lui, le seul principe de bravoure ! ». Comment traduire « principe » ? C’est un de ces termes français au domaine très vaste. La meilleure traduction est celle qui ne se trouve pas dans les dictionnaires à l’article « principe », c’est « fonto », la source.

Texte
d’Anatole
France :
traduction
du mot gâté

Enfin, je veux vous parler très particulièrement d’un dernier exemple que je crois spécialement instructif.

Dans une admirable invocation à Racine : « O doux et grand Racine ! le meilleur, le plus cher des poètes ! », Anatole France a cette phrase : « Dans ma jeunesse, gâté par les leçons et les exemples de ces barbares romantiques, je n’ai pas compris tout de suite que voue étiez le plus profond comme le plus pur des tragiques ; mes regards manquaient de force pour contempler votre splendeur ».

Comment traduire « gâté » ? Par « malbonigita » : bona, bon ; malbona, mauvais ; malbonigi, rendre mauvais ; malbonigita, rendu mauvais ? Oui, si l’on veut, mais sans enthousiasme. Gâté est un terme imagé, et malbonigita est bien prosaïque. Il me semble que malbonigita doit être dit d’un ton triste et abattu, tandis que gâté comporte une pointe d’humeur.

« Devojigita », mis hors de la route ? La pointe d’humeur y est, mais nous perdons la nuance de dévaluation qu’il y a dans gâté.

« Erarigita », mis en erreur ? terme peu imagé, qui introduit une idée d’erreur qui n’est pas dans gâté.

Tous ces termes d’ailleurs, comportant le suffixe ig, semblent mettre à la charge des romantiques une certaine responsabilité active, une responsabilité de volonté délibérée, alors que le texte français ne leur attribue, je crois, qu’une responsabilité atone : c’est par une ambiance plus que par des actes que l’auteur laisse entendre qu’il fut gâté.

Pour des raisons diverses, que je ne vais pas développer, nous écarterons également malĝuste direktita, aĉe kondukita, erare edukita, edukaĉita, fuŝdirektita, et nous nous arrêterons à infektita, contaminé.

Traduction de
ce même mot
en latin

S’il s’agissait de traduire ce même mot en latin, nous aurions corruptus, vitiatus, seductus. Mais il faudrait en faire la critique aussi, et chacun, sans doute, aurait ses défauts. Corruptus a peut-être le sens désiré, mais non pas l’intensité. Gâté n’est pas corrompu. C’est un diminutif. Pour juger d’ailleurs de l’intensité de corruptus, il faudrait collationner les textes où on le rencontre, examiner les contextes qui les éclairent. Quel travail ! qu’en esperanto nous n’avons pas, car l’intensité d’un mot est déterminée par sa définition et sa forme, et non pas par un usage capricieux.

Appel
  aux jeunes  

Jeunes gens qui désirez montrer vos qualités de traducteurs, qualités de clarté, de fidélité, de souplesse élégante, venez à l’esperanto : vous aurez l’occasion de déployer vos talents. Vous aurez plus d’une difficulté à affronter et à vaincre, si du moins vous avez cette qualité première qui est d’être exigeants pour vous-mêmes. Vous aurez à réduire les idiotismes français à la pensée nue, vous aurez à traduire les images trop spécialement françaises par des images de compréhension internationale, vous aurez à trouver l’expression adéquate à l’idée qui, par cela même, sera toujours élégante et correcte. L’esperanto est riche d’expressions, par les synthèses de mots toujours possibles, et il offre une matière assez belle pour tenter les artistes épris de leur art. Vous irez avec prudence, n’oubliant pas que le texte que vous établissez doit permettre à un autre traducteur de retrouver le texte d’où vous partez, non pas sans doute dans l’extrême détail des expressions, mais dans tout son sens, dont il ne faut rien retrancher, auquel il ne faut rien ajouter.

Joutes
de traduction
et de
retraduction

Vous pourrez, avec un partenaire, tenter ces exercices de traduction et de retraduction, joutes que l’on ne vous proposera, et avec raison, ni sur le latin — ou le grec —, ni sur une langue vivante étrangère. L’un partira d’un texte français et le traduira en esperanto ; l’autre partira de ce texte nouveau et reviendra au français. Vous comparerez ensuite le texte initial et le texte final : les infidélités commises apparaîtront à l’évidence. Vous chercherez, amicalement, qui en porte la responsabilité, et vous trouverez, en général, qu’elle est partagée. Vous comparerez aussi l’expression initiale et l’expression finale des pensées correctement conservées, et vous y prendrez de dures leçons de style. Quelquefois, cependant, vous aurez vos revanches ; vous constaterez, avec un malin plaisir, que telles œuvres réputées excellentes ont aussi leurs faiblesses : c’est passer un texte au crible le plus sévère que d’en essayer la traduction, et plus d’une réputation de styliste s’écroule à cette épreuve.

Les hautes
études
espérantistes
   
L’édition
de dictionnaires

Ce ne sera pas, je pense, péché d’orgueil de dire maintenant qu’il existe de hautes études esperantistes. La stylistique, car il existe un style en esperanto, la sémantique surtout offrent mille sujets de travaux. Tout particulièrement l’édition de dictionnaires toujours plus précis et plus complets est un austère travail, qui peut tenter les plus grands linguistes, soit qu’il s’agisse de dictionnaires nationaux esperanto, français-esperanto pour ce qui nous concerne. Les dictionnaires d’esperanto pur sont d’ailleurs les plus importants, car c’est eux qui font l’unité internationale de la langue : ils sont la source d’où doivent dériver les dictionnaires de traduction.

Les langues valent
ce que valent
les dictionnaires
qui les fixent
   
Les difficultés
d’élaboration de
tels ouvrages
   
Théorie vivante
de la pensée
qu’il faut édifier

Les pensées, je l’ai dit déjà, ne valent que ce que valent les langues où elles s’élaborent. De même, dans une large mesure, les langues ne valent que ce que valent les dictionnaires qui les fixent ; et cette observation valable pour toute langue, — un dictionnaire Littré, un dictionnaire Hatzfeld rendent compte de l’usage, mais le commandent aussi, — cette observation vaut surtout lorsqu’il s’agit d’une langue artificielle. C’est dire de quels soins, de quels éternels recommencements, sera faite l’élaboration de tels ouvrages. Quelques mérites qu’aient ceux qui existent, il faut faire mieux, et mieux encore : chacun n’est qu’une étape qui fait songer à la prochaine. A ce travail de Sisyphe, il faut la vertu de persévérence, avec les qualités du logicien et du linguiste : du logicien parce que les limites du domaine d’un terme doivent être déterminées par la logique, du logicien et du linguiste parce qu’il s’agit d’indiquer explicitement en mots précis les limites des domaines de ces concepts purs, parce que c’est une théorie vivante de la pensée même qu’il s’agit d’édifier et de formuler.

Importance
de ces travaux

Qui donc pourrait s’arroger le droit de mépriser de tels travaux ? Qui donc oserait affirmer qu’un jour l’esperanto n’aura pas définitivement vaincu ? Et s’il vient un temps, — que nous ne verrons pas, mais n’importe,— où il sera l’instrument de pensée humaine, de quelle importance apparaîtra le travail des grands ancêtres, que nous serons pour ces générations futures ! Rendons hommage à ceux qui, avec une modestie égale à leur dévouement et à leur mérite, s’adonnent à de telles œuvres. Nous pouvons être fiers d’en compter plusieurs en France, et qui font passer en esperanto le plus qu’ils peuvent du clair génie français, du génie cartésien.

Les charmes
enchanteurs
de l’esperanto

Pour qu’il captive ainsi de si fervents adeptes, quels sont donc les charmes enchanteurs de l’esperanto ?

Il y a le plaisir intellectuel de pénétrer le mécanisme intime d’un instrument bien fait, l’agrément de voir une œuvre mise au point. Il y a aussi, et plus encore, l’attrait puissant de l’idéal que l’esperanto porte en soi, idéal de fraternité humaine, auquel nul ne peut rester insensible.

L’idéal
espérantiste
de fraternité
humaine

Les enfants même le sentent. Ceux qui ont étudié l’esperanto arrivent à cette notion, qui chez eux sans doute reste encore imprécise, que les hommes sont frères. Ils arrivent à ignorer ces haines de races, qui divisent l’humanité. Et à mesure qu’ils avancent en âge, ce qui n’était que notion confuse devient idée claire. En même temps d’ailleurs, et parce que tout effort altruiste élève le cœur et l’âme, épure la pensée, donne le goût du devoir, ils exaltent leurs énergies et leurs volontés à des fins idéales. Ils sauront, à l’âge d’hommes, aller à l’assaut des puissances mauvaises, d’égoïsme et de haine, pour réaliser ce monde meilleur, dont ils portent désormais au cœur la nostalgie.

L’espoir
d’un monde
meilleur

Et pourquoi ce monde meilleur ne se réaliserait-il point ? La haine est-elle donc éternelle au cœur des hommes ? La haine presque toujours est faite d’ignorance. Donnons aux pauvres humains le moyen de se connaître, ils apprendront à s’aimer, ou tout au moins à se respecter. La langue auxiliaire internationale apporte au monde un grand espoir.

Les
rapprochements
intellectuels
de peuple
à peuple
par la langue
auxiliaire
internationale

Lorsque tous les hommes d’une certaine culture posséderont cette langue seconde, le voyageur pourra, en pays étranger, par de plus larges entretiens, plus intimement pénétrer l’âme des peuples qu’il voudra visiter, sans être limité à ceux-là seuls dont, peut-être, il posséderait la langue. Dans les congrès, il engagera des conversations utiles et directes avec ses collègues de toutes nationalités : les assemblées savantes, sociales, religieuses, commerciales, diplomatiques même, y gagneront une vie qui souvent leur manque. Le sédentaire pourra, par lettres, étendre le champ de ses relations, intellectuelles ou d’affaires, au monde entier. Il suivra, grâce aux progrès simultanés de la radiodiffusion, des conférences faites en tous pays. Il lira des journaux de toutes provenances, lui donnant de partout des nouvelles fraîches et directes, non déformées par l’incompétence ou les préventions, nationales ou autres, de correspondants de presse. Il aura dans sa bibliothèque des livres de tous pays, traduits en esperanto soit par leurs auteurs mêmes, soit, au moins, par des nationaux de la langue d’origine. Le champ de sa curiosité intellectuelle ne sera pas limité au seul canton qui l’a vu naître. Il se sentira, toujours plus, citoyen de l’univers. Et les enfants, — reparlons d’eux, c’est le sujet central de cette conférence, — pourront entrer en relations épistolaires avec des enfants de tous pays, sans que les uns ni les autres aient à humilier leur langue devant celle de leurs camarades : écrivant en langue neutre, ils seront vraiment à égalité. Quel regret qu’en esperanto se soit répandu l’usage de ne jamais se tutoyer : il faudra réformer cela !

L’esperanto
gage de paix
   
La France
et l’esperanto

Et, puisque la langue de Zamenhof est un gage de paix, saluons avec allégresse ses progrès toujours constants. Le mouvement espérantiste désormais ne s’arrêtera plus. L’ampleur de ce mouvement mondial ne laisse à cet égard aucun doute. Mais, certains du succès, nous ne sommes pas certains que ce soit ici, en France, qu’il apparaisse d’abord irrésistible, nous ne sommes pas certains que notre pays sache reprendre la place qu’il a eue à la tête de ce mouvement, et recevoir de ce fait tout le bénéfice moral qu’on en a pu espérer.

La langue
française
dans
le monde

La France peut légitimement être fière de la diffusion du français de par le monde. Si telle autre langue est parlée par de plus nombreux millions d’hommes, le français reste incontestablement la première langue de culture. Notre incomparable littérature est et restera l’un des plus purs joyaux de l’esprit humain : et l’on n’aperçoit pas qui pourrait, de longtemps, contester à la France cette prééminence. Mais dès maintenant, ce n’est que la société la plus cultivée des pays étrangers qui connaît le français, cependant que d’autres langues, plus directement utiles dans la vie pratique, gagnent de jour en jour. Et on peut légitimement craindre qu’un temps vienne, où la connaissance du français, à l’étranger, ne soit plus guère que le privilège exquis de quelques lettrés, tandis qu’une autre influence envahira les masses.

L’esperanto
au service
de la cause
française
dans
le monde

Par la langue auxiliaire internationale, dont elle peut, si elle le veut, assurer le prompt succès, la France peut conjurer ce destin. Elle peut rendre à tous les pays du monde, et elle en aura elle-même le bénéfice, un égal pouvoir de toucher les masses. Elle aura, pour sa propagande, un instrument efficace, là où le français est dès maintenant défaillant, parce que trop difficile et connu seulement de la société polie. Même ne guidant pas le mouvement espérantiste, elle ne doit pas l’ignorer, pour son expansion scientifique, morale, commerciale, pour faire connaître au monde son esprit et son cœur. Mais quel rayonnement nouveau ne peut-elle pas espérer, si, dirigeant ce mouvement, elle fait en sorte que la langue nouvelle, partout où elle pénètre, apporte des idées françaises d’abord !

Une initiative
généreuse

Enfin, et ce n’est pas à négliger, elle aurait l’honneur d’avoir, une fois encore, donné l’exemple d’une initiative généreuse. L’humanité souffrante attend, anxieuse, ceux qui lui apporteront d’efficaces paroles de paix ; or voici un évangile nouveau de fraternité humaine qu’il va falloir prêcher. Au moment de l’appel pour ce nouvel apostolat, les Français doivent à leur passé, doivent à leur avenir, de répondre avant tous les autres : présents !

 

 


Lire la conférence de 1930 faisant suite : L’Enseignement de l’espéranto.


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