Unuiĝo Franca por Esperanto
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Le sujet
Ce petit mémoire de 1910 traite de l’espéranto comme langue auxiliaire internationale à l’usage des scientifiques. Il a été rédigé par le mathématicien français Charles Bourlet.
L’argumentaire examine l’obstacle des langues lors d’échanges entres scientifiques ou plus généralement entre confrères de toutes spécialités et de toutes nationalités.
L’exposé montre l’oubli dans lequel se trouve déjà en 1910 la langue latine qui pourtant durant des siècles fut celle des savants, il montre le peu de valeur culturelle du multilinguisme dont la pratique se limite à des phrases toutes faites, il montre l’utopie paralysante d’une langue "parfaite", il montre les ambitions de certains nationaux pour leur langue maternelle.
L’espéranto par contre est simple et suffit à la tâche, sans gêner aucun amour-propre. De par sa syntaxe flexible et son aptitude expressive il se révèle à l’usage mieux qu’une solution simpliste.
Au vocabulaire de base assez élastique de l’espéranto il suffit d’ajouter les termes scientifiques et techniques selon les besoins. Une association scientifique internationale espérantophone s’est créée en 1906.
En guise de table des matières
Après le texte : quelques notes complémentaires pour aider à retrouver la perspective historique en 1910.
Il y a une vingtaine d’années, après l’échec retentissant du Volapuk, la possibilité de l’adoption d’une langue auxiliaire internationale, servant à côté des langues nationales de « truchement » universel, apparaissait aux esprits « sérieux » comme une parfaite utopie.
Depuis, l’idée a lentement fait son chemin et les progrès ininterrompus de l’Esperanto, joints aux difficultés croissantes que fit naître la diversité de nos langues, ont profondément modifié l’état des esprits. Une majorité imposante s’est formée dans le monde scientifique qui désire et réclame une langue commune pour les savants.
L’unanimité toutefois n’est pas encore parfaite.
Je parlais un jour à l’un de mes maîtres, et non des moindres, de l’utilité de l’Esperanto, il me répondit :
« Mais, mon cher ami, votre Esperanto est ridicule et inutile. Tout ce qui se fait d’intéressant en science est publié en français, en anglais ou en allemand. Rien n’est plus facile que d’apprendre l’anglais et l’allemand. Pour ma part, je connais ces deux langues, je me débrouille aussi dans l’italien, et je n’ai jamais eu besoin d’autre chose. »
Comme je parle assez couramment l’allemand, je continuai la conversation dans cette langue et… mon cher maître cessa de me comprendre.
C’est que, ce que les partisans du polyglottisme appellent « savoir » l’allemand ou l’anglais, c’est avoir une vague connaissance de ces langues grâce à laquelle, en s’aidant des formules et de quelques unes de ces locutions toutes faites qu’on retrouve à chaque pas dans des mémoires scientifiques, ils arrivent à deviner le contenu d’un texte qui traite un sujet qui leur est familier. Mais proposez-leur de lire, même avec un dictionnaire en main, la préface d’un ouvrage scientifique, ou, mieux encore, conduisez-les dans un Congrès International où l’on parle allemand ou anglais, et leur superbe dédain de l’Espéranto sera soumis à une rude épreuve.
Tout récemment, lors de l’un des dîners mensuels du Groupe espérantiste de Paris, M. le Professeur Raphaël Blanchard, membre de l’Académie de Médecine, nous disait :
« Je parle l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol à peu près aussi couramment que le français, je puis me faire comprendre en russe et en hollandais et, malgré cela, j’ai été plus d’une fois fort embarrassé. L’adoption d’une langue auxiliaire est non seulement désirable, mais c’est une conséquence inéluctable des relations sans cesse croissantes entre les savants, les commerçants, les industriels des diverses nations qui peuplent notre globe. »
Il est, je crois, inutile d’insister, d’autant plus que les partisans les plus déterminés du « statu quo » ne peuvent nier l’utilité incontestable de l’adoption d’une langue commune, seconde.
Je me propose d’étudier ici la question au point de vue particulier du monde scientifique, et il me semble tout d’abord nécessaire de réfuter une opinion erronée que l’on a trop souvent émise.
Certains hommes de science rêvent d’une langue auxiliaire purement scientifique, exclusivement réservée à l’usage des savants, d’une langue « parfaite », d’une rigueur « absolue », d’une logique « impeccable », où toutes les nuances de la pensée seraient contenues dans les termes mêmes, indépendamment du contexte.
Sans vouloir, pour le moment, examiner s’il est possible de réaliser une langue « parfaite » aux yeux de tous, ce que je ferai plus loin, je me contenterai d’abord de montrer que tout essai d’établissement d’un langage commun exclusivement scientifique est fatalement voué à un échec certain.
Quelles seraient, en effet, les limites de l’usage d’un idiome uniquement scientifique ? Quelle serait la catégorie d’hommes qui seuls l’emploieraient ? Où commence la science, et où finit-elle ?
Autant de questions qui restent sans réponse.
D’ailleurs l’histoire nous fournit un argument typique, irréfutable.
Une langue internationale scientifique existait jadis : c’était le latin. Or, depuis le temps, où les Descartes, les Leibniz, les Newton écrivaient en latin on n’a pas cessé d’enseigner la langue de Cicéron dans le monde, tout au contraire. Dans tous les pays civilisés les jeunes élèves des classes secondaires pâlissent sur les textes d’Horace et de Virgile ; et cependant il n’y a plus un savant aujourd’hui qui écrive une ligne en latin.
Cet abandon est dû à deux causes : d’une part à l’incapacité du latin à se plier à nos besoins modernes, et, d’autre part, et surtout, à la popularisation de la science.
La langue de Tacite manque évidemment des termes nécessaires, mais cela ne gênait guère les savants de jadis et, lorsque Gauss écrivait son mémoire De determinantibus functionalibus, il fabriquait, au fur et à mesure, sa terminologie nouvelle. On aurait donc fort bien pu continuer à « cuisiner » ainsi le latin. Mais quand, par suite de la démocratisation du livre, du développement de l’instruction et de la multiplicité des applications industrielles, la Science cessa d’être l’apanage d’une élite peu nombreuse, l’usage du latin comme langue internationale disparut promptement.
Le latin est mort une seconde fois, simplement parce qu’il n’était qu’un langage de lettrés et de savants, inaccessible aux masses.
Et puis, les hommes de science ne sont pas les seuls qui aient besoin de s’entendre. À spécialiser ainsi l’emploi de la langue auxiliaire, on serait conduit à imaginer une langue pour la science, une autre pour le commerce, une troisième pour la littérature. À la diversité des idiomes naturels on substituerait une variété différente mais tout aussi fâcheuse.
Il nous faut donc conclure : le problème qui nous intéresse n’est qu’un cas particulier d’un problème plus général qu’il s’agit d’abord de résoudre.
Nous devons donc rechercher une langue simple, facile, souple, bonne à tous les usages et à la portée de tous ; et sur ce fonds commun viendront, comme cela a lieu dans nos langues nationales, se greffer les terminologies spéciales, nécessaires à chaque domaine de l’activité humaine.
Quelle peut être cette langue auxiliaire générale ? Nous venons de voir incidemment que l’on ne saurait choisir le latin qui a déjà fait faillite et qui ne renaîtra plus de ses cendres ; mais il nous reste nos langues vivantes.
Dans un discours récent à la Chambre des Députés (*) M. Paul Deschanel affirme la nécessité urgente de l’adoption d’une langue auxiliaire, et après avoir constaté avec regret que le français est stationnaire, en présence des langues rivales qui gagnent sans cesse du terrain, il conclut que tous nos efforts doivent tendre à imposer notre langue aux autres peuples pour cet usage international.
(*) Voir le Journal Officiel du 28 Décembre 1909, page 3797.
Les partisans isolés du français comme langue auxiliaire ne manquent pas ; on en trouve même parmi les étrangers ainsi que le prouve le chaleureux plaidoyer d’un Russe, M. Novicow, dans la Revue des deux Mondes.
On a été plus loin, car on a essayé de constituer à cet effet une Association qui a tenu Congrès en septembre 1908 à Arlon et où M. Fürstenhof a présenté un long rapport en faveur de l’adoption universelle de notre langue.
En mai dernier au Congrès Mondial des Associations internationales, M. Villemotte, ardent défenseur, en Belgique, du français contre le flamand, a essayé, sans succès, de faire adopter un vœu présenté par cette association.
De tels efforts sont louables et, en notre qualité de français, nous y applaudirions de tout cœur si nous pouvions espérer qu’ils aboutiront.
Mon regretté maître et ami Henri Dufet me disait :
« Il est bien inutile de chercher une langue internationale scientifique, car elle existe en fait, c’est l’allemand. »
Dufet était un minéralogiste-chimiste et, à ce titre, il avait pleinement raison. L’Allemagne, à elle seule, produit plus de travaux en chimie que tout le reste du monde, et tous les mémoires relatifs à cette science, parus en diverses langues, sont sinon traduits au moins amplement analysés dans les publications allemandes.
Il serait piquant de rapprocher des paroles de M. Deschanel, de l’article de M. Novicow et du rapport de M. Fürstenhof un discours solennel, prononcé le 3 août 1906 à l’Université de Berlin par son recteur, le Professeur Hermann Diels (*). Dans ce morceau oratoire, tout entier consacré à la question de la langue auxiliaire, le professeur berlinois ne ménage guère le français :
« Le réveil national qui suivit la catastrophe d’Iéna détrôna — dit-il — le français chez nous. C’est en 1807 que parut le dernier volume, rédigé en français, des mémoires de notre Académie. Plus tard la culbute de 1870 eut pour effet de permettre à chacun d’employer sa langue nationale dans les affaires diplomatiques. Et ainsi s’écroula le monopole du français comme langue universelle. »
(*) Preussische Jahrbücher, tome CXXV, fasc. 3.
Et voici le tour des partisans de l’Anglais. Dans un long article paru récemment dans l’importante revue américaine The Century, le Professeur Brander Matthews traite la question de « l’anglais langue mondiale » (**).
Avec une assurance toute américaine, le Professeur Brander Matthews affirme que tôt ou tard, quoi qu’on fasse, envers et contre nous, l’anglais s’imposera comme langue universelle. (Il ne s’agit même plus ici d’une langue auxiliaire, mais bel et bien de la disparition de toutes les autres langues, vaincues, absorbées par l’anglais triomphant.)
Par la force de ses qualités intrinsèques, par son absence presque totale de grammaire, par sa concision et sa clarté, et aussi grâce à l’activité débordante de la race anglo-américaine, la langue de Shakespeare et de Longfellow se substituera peu à peu à toutes les autres.
« Et cela se fera — dit Brander Matthews — sans qu’il soit nécessaire d’édicter des lois ; aucun décret national ne sanctionnera le fait ; et aucune fierté nationale ne pourra en retarder l’accomplissement qui résultera de la seule force de circonstances contre lesquelles les empereurs eux-mêmes seront impuissants. »
(**) Une traduction en Esperanto de cet article a paru dans le N° de Janvier 1910 de La Revuo ; Paris, Hachette.
En attendant, pour aider la « force des circonstances », il s’est fondé une « Ligue pour l’adoption de l’anglais comme langue internationale auxiliaire » qui tiendra Congrès, cette année, à l’Exposition universelle de Bruxelles.
Tout cela est fort édifiant et montre avec quelle âpreté les partisans des langues nationales luttent entre eux. Aucun ne cédera ; et jusqu’à ce que la « force des circonstances » ait accordé la victoire à l’un d’eux, les champions nationaux resteront face à face sur leurs positions, sans que la question ait fait un pas en avant.
Dans ce conflit, la seule solution possible est l’adoption d’une langue neutre qui ne froissera aucun amour-propre national et qui, en outre, aura l’immense avantage d’être beaucoup plus simple, beaucoup plus facile, parce que plus régulière, que n’importe quelle langue nationale, fût-ce l’anglais.
Qu’une telle langue artificielle soit possible et utilisable ne peut plus être mis en doute, car cette langue existe et vit : L’Esperanto avec ses milliers d’adeptes qui l’écrivent et le parlent, ses cent quinze journaux, ses livres d’enseignement et dictionnaires de toutes langues (même en turc, en arménien, en hébreu et en japonais), sa bibliothèque de plus de trois mille ouvrages divers.
Cinq congrès internationaux successifs dans lesquels des milliers de congressistes de nationalités les plus diverses s’entendirent comme des compatriotes, ont prouvé irréfutablement sa vitalité.
Et cependant l’Esperanto a ses détracteurs.
Les uns, ses ennemis irréductibles, le déclarent ridicule, a priori, sans vouloir le connaître ; les autres, ses amis maladroits, l’ayant appris et même admiré, le jugent encore imparfait et prétendent l’accommoder à leur goût.
L’Esperanto, certes, n’est pas « parfait » ; mais aussi peut-on affirmer hardiment, sans craindre d’être jamais contredit par les faits, qu’une langue parfaite aux yeux de tous est irréalisable. Tel détail, qui apparaît à l’un comme une merveille, est considéré par un autre comme une défectuosité.
C’est qu’une langue internationale, pour s’accommoder à tant d’habitudes linguistiques diverses, pour se plier aux exigences de tant de mentalités variées, doit remplir des conditions si disparates, parfois si contradictoires, qu’il faut savoir se contenter d’une juste moyenne, sans vouloir prétendre à une perfection utopique.
M. Hugo Schuchhardt, membre de l’Académie des Sciences de Vienne, dans son intéressant rapport sur le mouvement tendant à la création d’une langue auxiliaire internationale artificielle (*) dit avec raison :
« Le vrai problème, le problème final est celui-ci : assurer à une telle langue, quand même elle ne serait pas la meilleure, le privilège de l’exclusivité. »
(*) Revue Internationale de l’Enseignement, 15 Mars 1904.
Ce n’est pas ici le lieu d’exposer en détail la structure de l’Espéranto, je me contenterai d’indiquer à grands traits ses principes et de réfuter quelques-unes des objections qu’on lui adresse.
Le Dr. Zamenhof, le génial auteur de l’Esperanto, a choisi ses racines dans les langues européennes en appliquant le principe de la représentation proportionnelle.
Avec ces racines il forme des mots :
1° Par dérivation immédiate en leur ajoutant les finales o, a, e, i, pour obtenir un substantif, un adjectif, un adverbe et un verbe ;
2° Par composition, comme en allemand ; exemple : tago, jour, mezo, milieu, tagmezo, midi ;
3° Par dérivation médiate au moyen de suffixes et de préfixes, comme dans nos langues nationales ; exemple : isto indique le métier, d’où les mots matematikisto, botisto, flutisto, etc.
Ainsi, avec un nombre restreint de racines, il obtient régulièrement un vocabulaire d’une richesse inimaginable.
Les théoriciens de la langue internationale reprochent à Zamenhof de n’avoir pas formulé des règles précises, mathématiques, pour cette dérivation ; et, visant spécialement le langage scientifique, ils prétendent compléter, perfectionner son œuvre en érigeant des règles étroites conduisant à limiter strictement l’emploi et le sens de chaque mot.
C’est là une grave erreur.
Le mérite de Zamenhof est peut-être moins d’avoir su découvrir les principes féconds qui servent de base à sa langue, que d’avoir su doser, avec un sens pratique admirable, la régularité nécessaire à la simplicité de la langue sans lui mettre les entraves d’un pesant appareil pseudo-scientifique.
Une langue dans laquelle chaque mot, forgé suivant des règles impératives, aurait un sens trop rigoureusement limité, une telle langue, si elle existait, serait absolument impraticable, car, en dehors de quelques phrases toutes faites, apprises en bloc, elle exigerait de celui qui l’emploie un travail cérébral intense et incessant.
Toute langue, pour être employée couramment, a besoin de posséder un fonds de mots à sens général, un peu vague, pour les parties du discours où il n’est pas nécessaire de préciser les termes eux-mêmes, où une précision imposée serait une gêne inutile.
Ainsi Zamenhof, en omettant volontairement de définir ses dérivés immédiats, nous fournit un trésor de mots généraux dont le sens exact se précise dans la phrase par le contexte et qui donnent à la langue sa souplesse et sa vie.
M. Camille Aymonier (*) dit fort justement à propos de ceux qui désirent des règles rigides :
On serait tenté de rappeler ici la critique que M. Henri Poincaré faisait à certain logisticien des mathématiques : « Votre logistique ne nous fait pas gagner en concision. Elle nous force à dire tout ce qu’on sous-entend d’ordinaire ; elle nous force à avancer pas à pas ; ce ne sont pas des ailes que vous nous donnez, mais des lisières. »
(*) L’Esperanto. Réponse à des critiques. Revue du Mois, 10 Septembre 1909.
D’ailleurs le système a déjà fait banqueroute, et ceux-mêmes qui essaient de l’appliquer trébuchent à chaque pas. C’est que la variété des nuances de l’esprit est infinie, et le nombre des moyens de dérivation, quelle qu’en soit la multiplicité, restera toujours fini.
Il ne faudrait cependant pas conclure de ce qui précède que l’Esperanto n’est qu’un assemblage de termes vagues et imprécis.
Tandis que ses dérivés immédiats conservent une généralité voulue, les dérivés médiats, au moyen d’affixes qui précisent le sens, présentent une richesse de nuances qu’on ne rencontre dans aucune langue vivante ; et ainsi, l’homme de science trouve dans ce langage admirable toutes les ressources nécessaires à la justesse de l’expression qui lui est chère.
La grammaire de l’Esperanto est si réduite qu’on l’apprend en une heure. N’ayant pas de genre grammatical, un seul article défini invariable, l’Esperanto avec douze terminaisons, et douze seulement, édifie une conjugaison qui est un chef d’œuvre de précision et d’élégance. Aucune langue vivante ne possède une conjugaison aussi complète et aussi nuancée.
L’Esperanto a un accusatif, marqué par la finale n.
Des théoriciens et des grammairiens lui en font un crime ; et cependant la pratique, en cette question, a une fois de plus donné raison à Zamenhof.
C’est que les conditions d’une langue internationale, qui doit essayer de troubler le moins possible les habitudes linguistiques de ceux qui l’emploient, sont toutes différentes de celles d’un parler local qui est rempli de locutions toutes faites, d’idiotismes qui varient d’un peuple à l’autre. Une langue auxiliaire ne saurait donc avoir trop d’éléments de clarté, et l’accusatif en est un au premier chef.
L’accusatif de l’Esperanto est d’un emploi très général : il sert à marquer ce que les grammairiens nomment actuellement le « complément d’objet », que ce complément soit direct ou indirect. Toutes les fois que la clarté du texte ne peut pas en souffrir on a le droit, en Esperanto, de remplacer une préposition par l’accusatif.
Grâce à cette finale n, Zamenhof a résolu le problème de construire une langue sans imposer un ordre rigoureux aux mots dans la phrase et sans être obligé de distinguer les verbes transitifs et intransitifs (*).
(*) Ainsi un même verbe est transitif dans une langue et intransitif dans une autre. Le français dit : je te remercie ; et il considère te (accusatif de toi) comme complément direct du verbe transitif remercier ; l’allemand dit : ich danke dir ; et dir (datif de du) est le complément indirect du verbe intransitif danken. Le premier traduira mi vin dankas, et le second mi dankas al vi ; les deux formes seront justes en Esperanto.
Sans nuire à l’intercompréhension, il laisse à chacun ses habitudes. La souplesse de la langue est ainsi incomparable ; elle se moule sur le texte qu’elle traduit, dont elle conserve la forme littéraire.
L’usage constant de l’accusatif est d’ailleurs un moyen d’éviter des ambiguïtés comme celle que présente la phrase : je l’aime comme mon père. Signifie-t-elle : je l’aime autant que mon père l’aime, ou : je l’aime autant que j’aime mon père ? En traduisant mi amas lin, kiel mia patro ou mi amas lin, kiel mian patron, l’Esperanto lève le doute.
Les perfectionneurs en chambre, qui n’ont jamais ni parlé ni enseigné l’Esperanto, croient introduire une simplification géniale en rendant l’accusatif facultatif. C’est une profonde illusion. Pour éviter l’obligation du cas d’objet, ils seront non seulement forcés d’imposer un ordre de mots dans la phrase, mais encore d’indiquer dans leurs dictionnaires la nature (transitive ou non) de chaque verbe, et ainsi d’exiger un effort considérable de mémoire de l’étudiant.
D’ailleurs cet accusatif, dit facultatif, deviendra obligatoire dans les inversions ; et ainsi leurs grammaires se grossiront de longs commentaires pour énoncer la liste des cas où l’accusatif est inévitable.
Il est toujours dangereux de vouloir juger une langue par un simple examen théorique, quelque approfondi qu’il soit ; il est encore plus dangereux de prétendre retoucher un mécanisme aussi complexe qu’est une langue en plein fonctionnement. On croit perfectionner un rouage, et on arrête toute la machine pour n’avoir pas pu prévoir les répercussions lointaines d’une modification en apparence anodine.
Un fait indéniable prime tout : c’est que depuis vingt-trois années qu’il est employé par des milliers d’hommes, dans les circonstances les plus diverses, l’Esperanto n’a jamais failli à son rôle. Tous ceux, appartenant à n’importe quelle nationalité qui l’ont pratiqué, sont unanimes à vanter son extraordinaire facilité, sa précision et sa clarté.
Que faut-il de plus ?
Est-ce à dire que l’Esperanto, à jamais pétrifié dans une forme immuable, ne progressera plus ? Certes non. Chaque jour, telle une vraie langue vivante, l’Esperanto s’enrichit de termes nouveaux dont son Comité de Linguistique enregistre ceux qui sont bons et que sanctionne l’usage. Et ainsi, par une évolution naturelle, la langue auxiliaire suivra le mouvement des idées et le progrès de demain.
L’Esperanto a fait ses preuves comme langue vulgaire, c’est bien une langue auxiliaire capable de servir à tous ; il nous reste donc, en nous plaçant à notre point de vue particulier, à voir comment elle pourra être utilisée dans le domaine scientifique.
Zamenhof n’a voulu être qu’un initiateur ; il nous a donné une langue réduite à ses parties essentielles, laissant à ses disciples le soin de la compléter. Il n’a pas eu l’immodestie de croire qu’il lui appartenait de créer l’immense terminologie scientifique nécessaire, que seuls les hommes compétents pourront choisir.
Ainsi l’Esperanto se trouvait, il y a quelques années, dans la situation de la langue d’une nation où la science moderne n’a pas encore pénétré. Pour le doter des termes nouveaux indispensables, il n’y avait qu’à suivre la voie naturelle de la sélection par l’usage, à l’exemple de ce qui se passe dans toutes les langues vivantes.
Ce n’est que vers l’année 1902 qu’apparurent les premiers écrits scientifiques, d’ailleurs bien modestes, en Esperanto. Par les soins de M. Charles Méray, Professeur à la Faculté des Sciences de Dijon, la Revue bourguignonne de l’Enseignement supérieur (*) publiait, en Esperanto, un article de M. Gruey, alors directeur de l’Observatoire de Besançon, et un autre article de l’abbé Dombrowski, professeur de mathématiques à Kovno (Russie). L’article de M. Gruey provoqua un travail du Capitaine Poljanskij de Khabarovsk (Russie d’Asie) qui parut dans le journal Lingvo Internacia. À la même époque M. F. Villareal, doyen de la Faculté des Sciences de Lima (Pérou), publiait en Esperanto dans la Revue de l’École d’Ingénieurs de Lima un travail sur la résistance des colonnes en fer (**), M. Raoul Bricard, répétiteur à l’École Polytechnique donnait dans les Nouvelles Annales de Mathématiques une démonstration nouvelle, en Esperanto, du théorème de Fermat (***) et un philosophe, M. E. Boirac, actuellement recteur de l’Académie de Dijon, traduisait en Esperanto la Monadologie de Leibniz (****).
(*) Gruey : Le cadran solaire de Dijon ; Dombrowski : À propos du 5me postulat d’Euclide. Revue bourguignonne de l’Enseignement supérieur. T. XII, N° 1. Barbier-Marilier, Dijon, 1902.
(**) Rezisteco de la Ferkolonoj. Tirage à part en 1904 ; Imprenta de la Escuela de ingenieros, Lima.
(***) Pruvo simpla de la Fermata teoremo, N. A. 4me série, t. III, Août 1903.
(****) Monadologio de Leibniz. Paris, Hachette et Cie, 1902.
Ces premiers essais montrèrent aussitôt l’urgence de l’établissement de terminologies spéciales pour la Science.
Dès 1902, deux mathématiciens, MM. Bricard et Hoffbauer, commencèrent le travail pour les mathématiques, travail qui aboutissait en 1905 à la publication d’une terminologie mathématique (*), dont presque tous les termes sont actuellement adoptés par la généralité des Espérantistes. Du premier coup M. Bricard avait trouvé la forme qui convient le mieux à ce genre de travail. Au lieu de composer un dictionnaire avec traductions en langues variées, il eut l’ingénieuse idée d’écrire tout en Esperanto, un résumé des mathématiques où il définissait tous les termes principaux de cette science. Son ouvrage avait ainsi non seulement l’avantage de pouvoir être utilisé par tous les Espérantistes, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, mais encore de donner des exemples d’emploi des termes choisis.
Cet excellent procédé a été depuis employé par M. Rollet de l’Isle, ingénieur en chef hydrographe de la Marine, et le Baron de Ménil, pour les termes de la Marine et de la Musique (**).
(*) Raoul Bricard. Matematika terminaro. Hachette et Cie, 1905.
(**) Rollet de l’Isle : Provo de Marista terminaro. Hachette et Cie 1908. — F. de Ménil : Muzika terminaro. Hachette et Cie, 1908.
Soumettre tous les mots nouveaux à l’épreuve de l’usage, ne les sanctionner que lorsqu’un emploi répété aurait montré leur utilité et leur parfait accord avec l’esprit de la langue, telle était la règle qui apparut, dès lors, comme la seule capable de livrer à l’Esperanto des vocabulaires techniques.
C’est dans le but de faciliter ce développement, qu’à l’instigation de M. le Professeur André Broca, un jeune étudiant en médecine, M. Paul Fruictier, fonda, en janvier 1904, la Internacia Scienca Revuo, revue scientifique internationale en Esperanto, dont le but était surtout de provoquer la traduction de mémoires scientifiques en Esperanto et de créer par l’usage une terminologie. Le Comité de patronage de cette Revue comprenait, dès sa fondation, des noms célèbres dans la Science : MM. Adelskold, Appell, d’Arsonval, Baudoin de Courtenay, Becquerel, Berthelot, Bouchard, Brouardel, Deslandres, Foerster, Haller, Mourlon, Henri Poincaré, William Ramsay, J. J. Thomson, Roland Bonaparte, Général Sebert ; et ses nombreux collaborateurs étaient des professeurs et ingénieurs de tous pays.
Dès l’apparition des premiers numéros, on put se rendre compte de la facilité avec laquelle l’Esperanto se prêtait à son nouveau rôle. La terminologie scientifique étant déjà en grande partie internationale, le travail d’adaptation se faisait sans grandes difficultés ; et généralement les auteurs pouvaient employer des termes nouveaux sans même avoir besoin d’en donner la traduction en langues nationales. Il est vrai, qu’au début, d’aucuns n’usèrent même pas assez résolument de ce procédé…
La fécondité de l’Esperanto pour former des mots par composition et dérivation est telle que bien des traducteurs, manquant de hardiesse, ou par un désir exagéré de n’employer autant que possible que le vocabulaire fondamental de Zamenhof, se complurent à forger des mots compliqués, véritables petits rébus, tandis qu’il existait des termes internationaux beaucoup plus clairs (*). C’est d’ailleurs en citant de pareilles erreurs, habilement recherchées parmi les articles les plus maladroits de la Scienca Revuo, que certains adversaires peu loyaux de l’Esperanto prétendent démontrer son inaptitude au langage scientifique.
(*) Un exemple typique de cette exagération nous est fourni par une petite plaquette de M. le Dr Paul Rodet : Familles de mots, Hachette et Cie, 1906, dans laquelle l’auteur essaie de tirer d’un seul radical tout ce qu’il peut donner. C’est ainsi qu’on y rencontre des mot invraisemblables comme sensentecigi, anesthésier, sensentecigantaĵo, anesthésique !
Cependant le vocabulaire espérantiste scientifique s’érigeait ainsi peu à peu. Dès la fin de l’année 1904, le numéro de Décembre tout entier de la Internacia Scienca Revuo était réservé à la publication d’une longue liste des mots nouveaux parus pendant l’année dans la Revue. L’un des auteurs de ce travail, M. Ch. Vérax ne s’en tint pas là. Il continua son patient travail de collationnement et d’épuration qui lui permit de publier, en 1907, un premier vocabulaire technique (*) contenant près de 6.000 mots principaux et au moins autant de dérivés. Enfin il vient de faire paraître un nouveau Dictionnaire scientifique (**) renfermant plus de 20.000 mots, avec leur traduction en français et leur définition en Esperanto, où l’on trouve, entre autres choses nouvelles, presque au complet, les nomenclatures de la chimie, de la géologie, de la botanique et de la zoologie.
Entre temps, le Groupe espérantiste médical de France, présidé par M. le Professeur Bouchard, publiait un dictionnaire d’anatomie (***) et ce même Groupe a élaboré une pharmacopée qui sera probablement imprimée sous peu.
(*) Ch. Vérax. Vocabulaire technique et technologique français-esperanto. Hachette et Cie, 1907.
(**) Ch. Vérax. Enciklopedia Vortareto Esperanta. Hachette et Cie, 1910.
(***) Anatomia vortaro kvarlingva. Hachette et Cie, 1906.
L’ensemble de ces travaux attirant de plus en plus le monde scientifique à l’Esperanto, il devenait nécessaire de coordonner tous ces efforts et ces bonnes volontés.
Au deuxième Congrès universel d’Esperanto, qui se tint à Genève en Août 1906, un groupe d’hommes de science espérantistes jeta les bases d’une vaste association scientifique espérantiste internationale qui eut pour premier président provisoire M. le Général Sebert, membre de l’Académie des Sciences. Le premier acte fut le vote de la déclaration suivante :
« Les soussignés, savants, hommes de science ou amis de la Science, étant d’avis que l’introduction de l’usage constant de la langue internationale Esperanto dans la Science serait d’une immense utilité pour faciliter les relations entre savants de nationalités diverses ainsi que la lecture des revues scientifiques, expriment le vœu que :
« 1° Les savants fassent un usage constant de la langue Esperanto dans leurs Congrès ;
« 2° Les grandes revues scientifiques internationales acceptent des articles rédigés en Esperanto et, en outre, fassent suivre tout article rédigé dans une langue nationale d’un résumé en Esperanto faisant connaître son contenu.
« Les soussignés promettent d’aider, chacun selon ses forces, à la réalisation de ce vœu. »
M. René de Saussure, privat-docent de l’Université de Genève, petit-fils du célèbre physicien de ce nom, et lui-même mathématicien de talent, accepta les fonctions de secrétaire-général de la nouvelle association, créa, à cet effet, un office international scientifique espérantiste à Genève et prit la direction, à partir de Janvier 1907, de l’Internacia Scienca Revuo qui passa des mains de la Maison Hachette en les siennes, pour devenir l’organe officiel de l’Association.
En quelques mois il recueillit, dans le monde savant, plusieurs centaines d’adhésions à la déclaration ci-dessus, et finalement la Scienca Internacia Asocio Esperantista fut définitivement fondée en Août 1907, au troisième Congrès d’Esperanto, à Cambridge (Angleterre).
L’Association compte actuellement un millier de membres, tous hommes de science ; elle a comme nouveau secrétaire général, M. R. Paillot, maître de conférences à la faculté des sciences de Lille (*). Elle a eu pour présidents : en 1907, M. le général Sebert ; en 1908, M. Ad. Schmidt, professeur à l’Université de Berlin ; en 1909, M. René Benoist, directeur du Bureau International des Poids et Mesures ; et son président pour 1910 est M. Edward V. Huntington, professeur à la Harvard University (U.S.A.).
(*) Le siège de l’Association est à Lille, Institut de Physique, 50 rue Gauthier de Châtillons. Cotisation annuelle : 5 francs.
Cette vaste association devra, quelque jour, se subdiviser. Déjà les médecins et les pharmaciens, excessivement nombreux dans le monde espérantiste, ont formé une société spéciale Tutmonda Esperantista Kuracista Asocio qui est très prospère et a son organe particulier Vocho de Kuracistoj (La Voix des médecins) édité à Lwow (Autriche). Et ainsi l’Esperanto progresse dans le monde scientifique d’une façon lente, mais sûre.
La bibliothèque scientifique espérantiste croît sans cesse ; parmi les ouvrages récents, je citerai la remarquable traduction de l’ouvrage du Professeur Huntington sur « Le continu » faite par mon collègue M. Bricard (*) et la « Analitika Geometrio absoluta » écrite directement en Esperanto par M. le professeur Cyrillo Vörös (**).
(*) Edward V. Huntington. La Kontinuo, trad. de Raoul Bricard, Gauthier-Villars, Paris, 1907.
(**) Prof. Dvo Cyrillo Vörös. Analitika Geometrio absoluta, 1 Vol. La ebeno Bolyaia. Louis Kokai, Budapest, 1910.
Les applications pratiques ne se sont pas fait attendre.
J’ai sous les yeux un amas de prospectus et d’annonces en Esperanto. Voici de luxueux catalogues, brochures épaisses, édités en Esperanto par des maisons dont la réputation est mondiale : les encres Stephens, la Consett Iron Company, les machines à écrire Oliver, de Londres, et Ideal (Seidel et Nauman) de Dresde, les constructeurs d’appareils de photographie Gaumont, à Paris, et Hüttig, à Dresde, le Sanatorium Bilz, etc.
Les aviateurs, entraînés par Ernest Archdeacon, apôtre de l’Esperanto, sont tous devenus de si fervents adeptes de la langue auxiliaire que leurs journaux spéciaux contiennent des rubriques constantes en Esperanto, et la maison Clément-Bayard édite son nouveau catalogue de dirigeables et aéroplanes en Esperanto.
Et ainsi, dans tous les domaines de l’activité scientifique et de ses applications, l’Esperanto montre sa parfaite aptitude à servir de langage commun.
La langue auxiliaire scientifique n’est plus une utopie, n’est plus un projet plus ou moins étudié ; elle existe.
Après vingt-trois années d’épreuves concluantes et de succès ininterrompus, l’Esperanto s’est montré capable de jouer le rôle de cet idiome commun unique auquel, suivant l’excellente formule de M. Hugo Schuchhardt, on doit « assurer le privilège de l’exclusivité ». Mais pour y parvenir à bref délai, il faut avant tout lui assurer une stabilité parfaite. Il faut que ceux qui l’apprennent aujourd’hui soient certains qu’il ne sera pas modifié demain, et que, pareil à un langage national, il n’évoluera plus que lentement, au fur et à mesure des nécessités du progrès.
Ce serait folie, lâchant la proie pour l’ombre, sous le prétexte de « perfectionner », de troubler le bel équilibre de cet instrument merveilleux ; et ceux qui, se décorant du titre « d’amis de la langue internationale », essaient, heureusement en vain, d’en ébranler les fondements, sont les pires ennemis de l’œuvre pacifique, qui triomphera d’ailleurs malgré eux.
« Une telle conduite — écrivait M. le Professeur Wilhelm Fœrster, — me paraît manquer de toute espèce de sagesse sociale, ne peut qu’engendrer la confusion et compromettre les résultats acquis par un travail de plusieurs dizaines d’années ».
Et je conclus :
L’Esperanto est la langue auxiliaire scientifique désirée ; adoptons-le.
Secrétaire Général : M. R. Paillot, Maître de Conférences à la Faculté des Sciences, 60, Rue Gauthier de Châtillons, Lille (France).
Président d’Honneur : M. le Docteur L. L. Zamenhof, Varsovie (Pologne russe) — Président : M. le Professeur Ed. Huntington, de l’Université d’Harvard (États-Unis) — Vice-Présidents : M. le Général Sebert, Membre de l’Académie des Sciences (Paris) ; M. le Professeur Köppen, Chef du Bureau météorologique de l’Observatoire national maritime allemand (Hambourg) ; M. le Professeur Villareal, Recteur de l’Université de Lima (Pérou) — Secrétaires : M. R. de Saussure, Privat-Docent de l’Université de Genève (Suisse) ; M. Carlo Bourlet, Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (Paris) — Trésorier : M. Th. Renard, Chimiste, Genève (Suisse).
PARAGRAPHE 1. — La Internacia Scienca Asocio Esperantista est une Association Internationale qui a pour but de propager la langue auxiliaire internationale Esperanto dans les milieux scientifiques et de faciliter son usage autant que possible.
PARAGRAPHE 2. — Les membres de la Société se divisent en trois catégories : membres d’honneur, membres actifs et membres approbateurs.
PARAGRAPHE 5. — Les membres d’honneur sont choisis parmi les personnes ayant rendu des services exceptionnels à la langue internationale.
PARAGRAPHE 6. — Les membres actifs paient une cotisation annuelle de 5 fr. au moins et ont le droit de vote sur toutes les questions. Ils sont seuls éligibles pour les postes administratifs.
PARAGRAPHE 7. — Les membres approbateurs ne paient pas de cotisation. Ils n’ont le droit de vote que pour les questions qui ne concernent pas l’administration de l’Association.
PARAGRAPHE 8. — Tous les membres actifs ont le droit de recevoir l’organe officiel de l’Association : Internacia Scienca Revuo, au prix réduit de 5 fr. par an (au lieu de 6 fr. )
Organe Officiel mensuel
de
Rédaction et administration :
M. H. F. Adolf Thalwitzer, Kötschenbroda-Dresden (Allemagne)
Abonnement annuel : 6 francs
Pour les membres de l’Association Sportive Espérantiste : 5 francs
Un numéro : 65 centimes
On peut adresser les abonnements à l’Administration, à la Librairie de l’Esperanto (G. Warnier & Cie), 15, Rue Montmartre, Paris, ou aux autres correspondants du journal :
Angleterre : « Brita Esperantista Asocio » (Museum Station Buildings, 133-136 High Holborn) Londres W. C. — Danemark : A. F. Höst & Son, Copenhague. — Espagne : J. Espasa, Barcelone. — France (voir ci-dessus) — Hongrie : Kokaj Lajos (IV karoly ucta I), Budapest. — Italie : Raffaello Giusti, Livourne. — Japon : M. Hikosaka (33, Abekawamachi, Asakusa) Tokio — Pologne russe : M. Arct, Varsovie. — Russie : Librairie « Esperanto » (Tverskaja 28) Moscou. — Turquie : J. Guéron (École de l’Alliance israélite) Aïdin.
Je soussigné désire adhérer à l’Internacia Scienca Asocio Esperantista, fondée suivant le programme détaillé dans la note du 3 Décembre 1909 et le règlement approuvé le 15 Août 1907, et je demande à être inscrit comme membre actif de cette association.
J’envoie par le même courrier un mandat (bon de poste, chèque) de ..
francs pour ma cotisation de membre actif (1) et un abonnement d’un an à la Scienca Revuo.
Nom et Prénoms : .............................
Adresse : ..........................................
..........................................................
(1) Les membres actifs paient une cotisation annuelle de 5 francs et peuvent recevoir la Scienca Revuo au prix réduit de 5 francs par an.
Détacher ce Bulletin d’Adhésion en suivant le pointillé et l’adresser à M. le Secrétaire Général de l’INTERNACIA SCIENCA ASOCIO ESPERANTISTA, 50, Rue Gauthier de Châtillon. LILLE.
Quelques notes complémentaire à la lecture de ce document
La petite histoire
Plus de cent ans sont passés et le lecteur du XXI-ème siècle doit faire un effort d’imagination pour saisir tout l’argumentaire qu’il faut replacer dans l’époque de rédaction. Quitte à quelques longueurs voici un rappel sur l’état du problème en 1910 :
Le XIXème siècle fut en Europe une époque de très grands changements où des idées neuves commencèrent à être mises en application de manière systématique et à grande échelle. Les mots : paix, justice, éducation, évolution, progrès, n’étaient pas nouveaux mais recevaient un sens nouveau et pouvaient s’appliquer de manière nouvelle, rationnelle et technologique. L’espoir en le Progrès se fait alors jour.
C’est en 1880 qu’est publiée en Autriche la première langue internationale construite qui ait réellement fonctionné pendant plusieurs années dans plusieurs pays : le Volapük. Cette langue offrait un système sophistiqué de cas grammaticaux et d’affixes mais cela la rendait pesante et artificielle, ce qui causa sa fin par refus des réformes simplificatrices nécessaires. Cet échec discrédita l’idée d’une langue construite.
L’espéranto, élaboré indépendamment du Volapük, est publié en 1887 en Pologne Russe par le Dr Zamenhof. Il reçoit la faveur de volapukistes et d’idéalistes mais vit petitement sans publicité durant ses premières années, ce qui lui permet de se frotter à la pratique et de discuter plusieurs projets de réformes.
Ce n’est qu’à partir de 1900 que l’espéranto commence à connaître l’intérêt qu’il mérite. Cette seconde naissance se produit en France et se doit en grande partie à Carlo Bourlet qui obtient des accords avec le Touring-Club, avec la Sorbonne, et surtout des contrats avec Hachette pour l’édition de livres et d’une Revue littéraire mensuelle dont il dirigera la publication.
Mais en 1910 l’espéranto est victime de son succès et est en train de vivre un moment incertain dont chacun sent qu’il sera déterminant :
L’espéranto de 1910 a-t-il besoin ou pas — en 1910 — de réformes pour continuer à se développer sereinement ? Parce que "mieux" est souvent ennemi de "bien", parce que le jeu discordant des ambitions est dangeureux, beaucoup d’espérantistes ou simplement de progressistes favorables à une langue auxiliaire internationale se font du souci.
Carlo Bourlet est de ceux qui font confiance à l’espéranto tel qu’il vit. Cette confiance n’est ni le calcul du mathématicien ni celui de l’éditeur, c’est le jugement de l’homme de Culture.
Point de vue culturel, faits de société
L’espéranto, s’il est structuré avec logique, n’est pourtant pas une langue mathématique abstraite, un système tel que Descartes ou Leibniz pouvaient l’imaginer. Bourlet est bien placé pour le savoir ; il sait aussi que c’est inutile et peu souhaitable ; d’ailleurs ni Descartes ni Leibniz ne s’y sont essayés.
En 1900 tous les scientifiques possédaient une solide culture classique ; ils avaient fait "les humanités" et connaissaient les Lettres autant que les Sciences. Les savants avaient "une tête bien faite" autant que "bien pleine".
En France le nouveau programme scolaire de 1902 fut la première réforme à réduire la part du latin dans les études. Ce début d’abandon se faisait au profit d’autres savoirs immédiatement utiles au progrès industriel d’une nation moderne.
Dans ce même but il fallait aussi commencer plus tôt à enseigner certaines parties du programme scolaire à des élèves plus jeunes. Carlo Bourlet, membre de la Commission Internationale de l’Enseignement Mathématique, joua aussi un rôle pour cela.
Remarquer que l’abandon de l’enseignement obligatoire du latin dans l’enseignement public était aussi une mesure symbolique anti-discriminatoire annonçant la séparation de l’Église et de l’État en 1905.
Sur l’auteur
Sur la vie de Carlo Bourlet, homme de science et espérantiste, lire : "Carlo Bourlet", la petite biographie éditée peu après sa mort.
Sur la brochure papier de 1910
Nous avons reproduit le texte complet de la brochure originale. Elle avait 32 pages, pas de couverture, format 16×12 cm.
Les deux dernières pages ne sont pas reproduites : deux publicités pour les revues "Analyse & synthèse" (études sociales, historiques et littéraires), pour La Revuo (internacia monata literatura gazeto), et une liste de douze titres de la collection technique en espéranto publiée par Hachette.
Quelques compléments
L’espéranto n’est pas mort avec la guerre de 1914-1918. En 1920 M. Rollet de l’Isle publia "Une Langue scientifique et technique internationale, l’Esperanto". Cette brochure de 24 pages offre un argumentaire semblable à celui de Bourlet. L’auteur insiste sur la question bibliographique et documentaire : tout article devrait au moins être accompagné d’un résumé en espéranto à fin de classification. Il fait remarquer qu’un tel résumé peut être écrit directement en espéranto par l’auteur de la publication, que le livre ou l’article entier peut recevoir sa traduction de la main même de son auteur, immense avantage garantissant l’exactitude du résumé, de la traduction et du catalogage. Il fait remarquer aussi que le temps économisé par les étudiants sur les études de langues étrangères est autant de gagné pour appronfondir l’étude de la science. Il remarque aussi que certains mots présentent un sens quelque peu différent selon les langues et que l’espéranto opérerait alors comme étalon linguistique.
Mais pourquoi aujourd’hui, plus de cent ans après, la langue internationale n’est-elle toujours pas considérée comme participant du progrès ? Pourquoi le télégraphe, le téléphone, la radio, la télévision, l’internet, le téléphone portable sont-ils des technologies de communication entrées dans la vie courrante, mais pas la langue auxiliaire internationale ? Là n’est pas le sujet de cette brochure…
Aujourd’hui en 2015 grâce à l’internet et à l’espéranto de nombreux professionnels et amateurs passionnés concourrent à l’avancée d’ambitieuses réalisations, souvent de leur propre initiative, hors cadre institutionnel ou commercial, par exemple dans le domaine du logiciel libre. L’Académie des Sciences de Saint-Marin est la seule à utiliser l’espéranto comme langue de travail. Les listes terminologiques pour les sciences, les techniques et le commerce sont pourtant disponibles depuis longtemps !
De nombreux sites dans l’internet offrent des exemples très actuels de l’utilisation de l’espéranto dans les sciences et techniques. Nous laissons les lecteurs les découvrir par eux-mêmes… ne sont-ils pas des chercheurs !
Et voici, pour les amateurs d’antiquités espérantophones :
Guide Espéranto de la Croix-Rouge, disponible en plusieurs langues (1906),
Termala ŝlimbanejo de Saint-Amand-les-Eaux, prospectus de l’établissement thermal de Saint-Amand-les-Eaux (1904),
La Plej esenca pri Ovomaltine, une brochure publicitaire Ovomaltine (1910),
La Instituto Milner, les miracles de la psychologie scientifique dans une agenge matrimoniale nord-américaine (1912),
Code International Lugagne, vocabulaire commercial en 7 langues + code télégraphique (1914),
L’Espéranto dans le commerce, par le président de la Chambre de Commerce de Paris (1931),
Kurioza sunhorloĝo, tous les calculs gnomoniques pour construire un curieux cadran solaire (1903-1909).