Unuiĝo Franca por Esperanto
Biblioteko  Hippolyte  Sebert

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Les Bancs de la promenade
 de Jules Jouy 

Voici le texte original de Jules Jouy en français.

Une édition d’époque, dans le site de la Bibliothèque Nationale de France : Gallica : Les Bancs de la promenade.

La traduction en espéranto par le Docteur Pierre Corret : benkoj.htm : La Benkoj de la promenejo.


À mes amis VAUMEL et RAYMOND

LES BANCS DE LA PROMENADE

RACONTÉ PAR COQUELIN CADET
de la Comédie-Française

—————

La promenade, ombragée d’ormes séculaires, qui borde les fossés de Bréthisy, petite ville de douze cents âmes du département de Meurthe-et-Loire, se fait remarquer par une absence complète de bancs.

Voici l’explication de cette absence bizarre :

En 1842, les Bréthisyens, qui avaient l’habitude d’aller prendre l’air, le soir, sur la promenade, se plaignirent au Maire d’être obligés de s’asseoir, faute de bancs, sur le bord des fossés, à même l’herbe, et d’attraper ainsi des fraîcheurs… et autre chose ; ajoutant qu’il était indigne d’une cité de l’importance de Bréthisy d’avoir une promenade sans bancs.

Observation, on en conviendra, suffisamment justifiée.

Le Maire réunit son Conseil municipal et lui expose la situation.

Le Conseil municipal, perplexe, se dispute pendant une heure, cherchant, mais en vain, un moyen propre à contenter le désir qu’ont de s’asseoir, autre part que sur l’herbe, les habitués de la promenade.

— C’est bien simple, dit tout-à-coup un Conseiller roublard, si on y faisait mettre des bancs ?

— Tiens! c’est une idée ! répliquent, d’une seule voix, le Maire et son Conseil municipal, lesquels votèrent d’acclamation la proposition du Conseiller roublard.

Huit jours après, huit magnifiques bancs, peints en vert, s’offraient à l’admiration des douze cents âmes de Bréthisy. Mais huit bancs, pour douze cents… âmes, c’est peu. Aussi l’administration prévoyante, pour éviter tout désordre, avait-elle fait distribuer à chaque Bréthisyen un petit carton, au moyen duquel il pouvait s’asseoir deux minutes sur chaque banc et céder sa place à un autre. Tout le monde put donc s’asseoir.

Malheureusement le vert magnifique dont les bancs étaient peints n’était pas encore sec ; si bien que le soir, en se déshabillant pour se mettre au lit, les Bréthisyens constatèrent que leurs vêtements étaient pleins de vert qu’ils s’efforcèrent, mais en vain, d’enlever. Tous les flacons de benzine qu’on put trouver à Bréthisy y passèrent, mais inutilement : les douze cents âmes durent se payer des vêtements neufs.

Elles se plaignent au Maire, qui réunit son Conseil municipal et lui expose la situation. Le Conseil municipal, perplexe, se dispute pendant une heure, cherchant, mais en vain, le moyen d’empêcher les Bréthisyens de s’asseoir sur les bancs de la promenade.

— C’est bien simple, — dit tout-à-coup le Conseiller roublard, si on faisait mettre dessus : « Défense de s’asseoir » ?

— Tiens! c’est une idée, répliquent, d’une seule voix, le Maire et son Conseil municipal, lesquels votent d’acclamation la proposition du Conseiller roublard.

Le Maire fait venir un peintre en lettres et lui ordonne d’écrire sur le dossier de chaque banc l’inscription votée : « Défense de s’asseoir ».

Les Bréthisyens obéissent pendant trois mois à l’ordre de l’autorité ; mais, au bout de ce laps de temps, ils font remarquer au Maire qu’il est absolument inutile d’avoir des bancs si on ne peut pas s’asseoir dessus.

Observation, on en conviendra, suffisamment justifiée.

Le Maire réunit son Conseil municipal et lui expose la situation.

Le Conseil municipal, perplexe, se dispute pendant une heure, cherchant, mais en vain, le moyen d’inviter les Bréthisyens à s’asseoir sur les bancs de la promenade.

— C’est bien simple, — dit tout-à-coup le Conseiller roublard, si on faisait mettre dessus : « Bancs pour s’asseoir » ?

— Tiens ! c’est une idée, répliquent, d’une seule voix, le Maire et son Conseil municipal, lesquels votent d’acclamation la proposition du Conseiller roublard.

Le Maire fait revenir le peintre en lettres, lui ordonne d’effacer l’inscription précédente et de la remplacer par la nouvelle : « Bancs pour s’asseoir », en belles lettres jaunes.

Le soir, les Bréthisyens s’assoient ; mais en se déshabillant pour se mettre au lit, ils constatent qu’ils ont des lettres jaunes dans le dos, qu’ils s’efforcent, mais en vain, d’enlever. Tous les flacons de benzine qu’on peut trouver à Bréthisy y passent, mais inutilement. Les douze cents âmes se voient contraintes de se repayer des vêtements neufs.

Elles se plaignent au Maire, qui réunit son Conseil municipal et lui expose la situation. Le Conseil municipal, perplexe, se dispute pendant une heure, cherchant, mais en vain, le moyen de faire comprendre aux Bréthisyens que, la peinture n’étant pas sèche, il ne faut pas s’asseoir sur les bancs de la promenade.

— C’est bien simple, — dit tout-à-coup le Conseiller roublard, si on faisait mettre dessus : « Attendez, avant de vous asseoir, que la peinture soit sèche » ?

— Tiens ! c’est une idée, répliquent d’une seule voix le Maire et son Conseil municipal, lesquels votent d’acclamation la proposition du Conseiller roublard.

Le Maire fait revenir le peintre en lettres, lui ordonne d’effacer l’inscription précédente et de la remplacer par la nouvelle : « Attendez, avant de vous asseoir, que la peinture soit sèche ».

Les Bréthisyens attendent trois mois ; mais, au bout de ce laps de temps, ils font remarquer au Maire que l’inscription devient inutile, la couleur étant probablement sèche.

Observation, on en conviendra, suffisamment justifiée.

Le Maire réunit son Conseil municipal et lui expose la situation.

Le Conseil municipal, perplexe, se dispute pendant une heure, cherchant, mais en vain, le moyen de faire comprendre aux Bréthisyens que la couleur étant sèche, ils peuvent désormais s’asseoir sur les bancs de la promenade.

— C’est bien simple, — dit tout-à-coup le Conseiller roublard, si on faisait mettre dessus : « Vous pouvez vous asseoir, la peinture est sèche » ?

— Tiens ! c’est une idée ! répliquent, d’une seule voix, le Maire et son Conseil municipal, lesquels votent d’acclamation la proposition du Conseiller roublard.

Le Maire fait revenir le peintre en lettres, lui ordonne d’effacer l’inscription précédente et de la remplacer par la nouvelle : « Vous pouvez vous asseoir, la peinture est sèche », en grandes lettres blanches.

Le soir, les Bréthisyens s’asseoient ; mais, en se déshabillant pour se mettre au lit, ils constatent qu’ils ont des lettres blanches dans le dos. Nouvel essai, complètement inutile, de nettoyage, et nouvel achat de vêtements neufs aux quelques tailleurs de la ville, qui se retirent après, fortune faite.

Ils se plaignent au Maire, — pas les tailleurs, les Bréthisyens, — lequel réunit son Conseil municipal et lui expose la situation. Le Conseil municipal, perplexe, se dispute pendant une heure, et finit par voter le décret suivant, sur la proposition du Conseiller roublard :

« Le Conseil municipal de Bréthisy,

« Considérant :

« Que les Bréthisyens se tachent toujours, que la peinture soit sèche ou non, en s’asseyant sur les bancs de la promenade ;

« Arrête :

« Article premier, dernier et unique,

« Les bancs de la promenade de Bréthisy sont supprimés »

Et voilà pourquoi il n’y a pas de bancs sur la promenade de Bréthisy.


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