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PUBLICATION DE LA SOCIÉTÉ DES AMIS DE L’ ESPERANTO.       N° 1

LE PROBLÈME
DE LA
LANGUE INTERNATIONALE

PAR

É. BOIRAC

Recteur de l’ Académie de Dijon.

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EXTRAIT DE LA REVUE PÉDAGOGIQUE
DU 15 JANVIER 1911.

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2me ÉDITION.

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PARIS
ESPERANTISTA CENTRA OFICEJO
51, RUE DE CLICHY.

1914

Prix : 0 fr. 25.                                                       C.O. 320.


LE PROBLÈME
DE LA
LANGUE INTERNATIONALE

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Qu’il y ait actuellement un problème de la langue internationale, c’est ce dont il n’est plus possible de douter, à en juger par le nombre et l’importance des articles publiés de tous côtés sur ce sujet ; mais comment convient-il de le poser et surtout comment peut-on le résoudre, ce sont là des points sur lesquels la discussion n’est pas près d’être close, et sur lesquels, profitant de la libérale hospitalité de la Revue Pédagogique, nous allons nous-même essayer d’exposer en toute sincérité nos idées personnelles.

I

On a expliqué ici-même (¹) qu’il ne s’agit nullement d’une langue universelle destinée à remplacer toutes les autres sur toute la surface du Globe, à être parlée simultanément par tous les hommes aux lieu et place de leurs vieilles langues nationales : il s’agit simplement d’une langue internationale auxiliaire, commune à tous les peuples civilisés, qui dispense chacun d’eux d’apprendre les langues de tous les autres, « juxtaposée aux idiomes nationaux et servant uniquement aux relations internationales ». Cette distinction, qui paraît bien simple, a été pourtant très difficile à faire saisir au public. À l’origine, du temps du Volapuk, en partie peut-être par la faute des volapukistes eux-mêmes, elle était complètement méconnue, et aujourd’hui encore, bon nombre des objections, que nous voyons se répéter dans la presse contre la langue internationale, viennent de ce qu’on la confond avec la langue universelle. Si cette notion nouvelle a fini par pénétrer un peu partout, c’est surtout, il faut bien le dire, grâce au persévérant effort des Espérantistes, qui n’ont jamais cessé de protester contre une telle confusion (²).

(¹)  Revue Pédagogique, 15 août 1910 : La Langue internationale. Voir aussi Revue Pédagogique, 15 décembre 1906 : Le Congrès espérantiste de Genève.

(²)  On sait que le gros volume consacré par MM. Couturat et Leau à la question de la langue internationale portait encore le titre : Histoire de la langue universelle.

Telle étant l’idée que nous devons nous faire de la langue internationale, comment se pose le problème qui la concerne ? La question mérite qu’on s’y arrête ; car bien souvent la solution d’un problème est déterminée d’avance par la façon dont on le pose.

À notre avis, il s’agit avant tout d’un problème d’ordre pratique. « Nous, hommes du XXe siècle, en présence de l’extension et de la complication croissantes des relations internationales, nous rencontrons dans la diversité des langues nationales un obstacle qui devient chaque jour plus gênant et qui n’a pu être en partie surmonté jusqu’ici que par une énorme dépense de temps, d’argent et d’énergie intellectuelle ; et nous nous demandons si et comment nous pourrions arriver à le faire disparaître, car la situation actuelle, qui va d’ailleurs s’aggravant toujours, nous paraît trop intolérable pour pouvoir être supportée indéfiniment. » Voilà, selon nous, en quels termes doit se poser le problème. Mais on peut aussi l’entendre autrement.

Supposez qu’on le formule ainsi : « Quelle sera la langue internationale de demain ? » Il s’agira cette fois d’un problème spéculatif sur lequel, à défaut de sorciers ou de prophètes, on pourra consulter les sociologues, si toutefois la sociologie comporte une partie divinatoire. Tout à l’heure nous nous placions dans le présent, et c’est pour un besoin présent que nous nous efforcions de découvrir une satisfaction prochaine. Maintenant on se transporte dans l’avenir, et cet avenir, on tâche de prévoir quel il sera, en supposant toutefois, par un optimisme doublé de fatalisme, qu’il ne manquera pas de nous apporter la satisfaction désirée.

Se demander en effet quelle sera la langue internationale de demain, c’est supposer comme évident a priori qu’il y aura dans un avenir plus ou moins éloigné une langue internationale, que c’est là un résultat immanquable, et qu’il s’agit seulement de deviner et de prédire quelle sera cette langue. Or, nous ne savons pas même s’il y aura une langue internationale demain : ce que nous savons, c’est qu’il nous en faudrait une dès aujourd’hui. Aucun de ceux qui éprouvent le besoin effectif d’une langue internationale ne consentirait à se placer sur ce terrain. Continuer à éprouver ce besoin et à en souffrir, sans rien faire pour y remédier, en se disant que l’avenir y pourvoira, et en essayant simplement de conjecturer sous quelle forme, leur semblerait une attitude déraisonnable. Sans vouloir soulever ici le problème du déterminisme et du libre arbitre, on avouera que, lorsqu’il s’agit de l’avenir, et d’un avenir auquel nous sommes intéressés, et où notre activité volontaire est engagée, c’est tomber dans le fatalisme, dans ce que Leibnitz appelait le sophisme paresseux, que de croire que l’avenir est d’ores et déjà déterminé et qu’il se déroulera tel quel, quoi que nous puissions penser et faire à cet égard. Tout au contraire, il est certain d’avance que l’avenir sera au moins en partie ce que nous croirons qu’il doit être et ce que nous voudrons qu’il soit.

Aussi, rien n’est-il plus vain que ces prétendus essais, philosophiques ou scientifiques, de divination de l’avenir, quand il s’agit des choses humaines. Si, au premier ou au deuxième siècle de l’ère chrétienne, un sociologue d’alors s’était demandé : Quelle sera demain la religion de l’humanité, aurait-il pu soupçonner que ce serait la religion du Christ ? Les chrétiens ne se sont pas posé la question, mais ils ont fait la religion de l’humanité.

Prenons donc garde qu’en posant ainsi la question : Quelle sera la langue internationale de demain ? on s’expose à ne pouvoir obtenir d’autre réponse que celle-ci : « Demain, il n’y aura pas plus de langue internationale qu’aujourd’hui. L’humanité continuera à être partagée entre d’innombrables langues ; mais quelques privilégiés, ici et là, pourront savoir plus ou moins bien, outre leur propre langue maternelle, deux ou trois langues, français, anglais, allemand, italien, peut-être aussi espagnol et russe, grâce auxquelles ils auront l’avantage de pouvoir lire les ouvrages écrits dans ces langues, et causer plus ou moins facilement avec les habitants des pays où ces langues sont parlées. » Et telle est bien, en effet, la seule solution du problème, à moins qu’une langue artificielle, telle que l’Esperanto, réussisse tôt ou tard, malgré les prédictions contraires et les résistances de toute sorte qu’on lui oppose, à apporter à l’humanité cette langue vraiment internationale « juxtaposée aux idiomes nationaux et servant uniquement aux rapports internationaux », dont elle ressent de plus en plus fortement le besoin.

II

Mais cette autre solution du problème paraît inadmissible à bien des gens. Que la langue internationale de l’avenir puisse être une langue artificielle, qu’elle puisse être l’Esperanto, c’est ce qu’ils nient avec une conviction admirable, échafaudant toute une savante argumentation pour prouver qu’il est impossible qu’une langue artificielle devienne jamais internationale.

Par malheur toute cette argumentation ressemble fort à celle du philosophe Éléate qui démontrait l’impossibilité du mouvement. Certes, celui qui écrit ces lignes ignore absolument ce que sera la langue internationale de l’avenir ; mais ce qu’il sait bien, pour l’avoir expérimenté, c’est que d’ores et déjà, pour des milliers d’individus appartenant à toutes les races (¹), à toutes les conditions, et parlant les langues naturelles les plus diverses, il y a au moins une langue dite artificielle, qui fait fonction de langue internationale, qui est effectivement une langue internationale, et c’est l’Esperanto. Tandis que vous, philologue ou sociologue, démontrez, par de beaux raisonnements, et à grands renforts de syllogismes, que la langue internationale artificielle est impossible, ces gens-là parlent et, je dirai presque, vivent cette langue : ils marchent à votre nez, tandis que vous proclamez l’impossibilité du mouvement. Alors que les autres hommes continuent à rester enlisés dans la diversité des langues nationales, obligés d’apprendre l’anglais pour faire du commerce avec l’Angleterre, et peut-être avec le reste du monde, d’apprendre l’allemand pour profiter des travaux de la science allemande, d’apprendre le français, d’apprendre l’italien, et que sais-je encore ? Eux, avec une seule langue, se comprennent d’un bout à l’autre de la terre : ils ont résolu pratiquement le problème, ils ont une langue internationale, qui leur sert pour tous les usages, avec laquelle ils peuvent à leur gré traiter des affaires commerciales, discuter des questions scientifiques et philosophiques, s’entretenir de littérature, de musique et de beaux-arts, en un mot exprimer toutes les idées avec la même facilité que dans leur langue maternelle.

(¹)  On prétend que l’Esperanto a peu de succès dans certains pays, notamment en Allemagne et en Russie. C’est là une contre-vérité. Pour ne parler que de l’Allemagne, le Germana Esperantisto, dans son dernier numéro (décembre 1910), se plaint d’être débordé au point de ne pouvoir insérer toutes les communications concernant le mouvement espérantiste qui lui arrivent de tous les points de l’Allemagne, et il énumère les cours nouveaux qui se sont ouverts depuis novembre dans trente-huit villes dont voici la liste : Augsbourg, Berlin, Borbeck-sur-Eissen, Braunschweig, Brême, Breslau, Charlottenbourg, Dessau, Essen-sur-Ruhr, Frankenberg, Francfort-sur-le-Mein, Francfort-sur-Oder, Gleiwits, Gmünd, Görlitz, Gottingen, Hambourg, Hanovre, Höchst, Jägersburg, Cassel, Köthen, Kottbus, Krefeld, Lübeck, Ludwigshafen, Magdebourg, Mainz, Munich, Oelsnitz, Potsdam, Reichenhall, Rostock, Stettin, Stuttgard, Weissensee, Wernigerode, Wiesbaden, Worms. La vérité, c’est que l’Allemagne marche à pas de géant dans la voie de l’Esperanto et qu’elle y a pleinement atteint, sinon dépassé notre pays. Si le mouvement espérantiste a été légèrement retardé quelque part, c’est plutôt en France, à cause de la campagne acharnée des Idistes et de leurs alliés conscients et inconscients : mais dans les pays de langue anglaise, allemande et slave, cette campagne a misérablement échoué ; en France d’ailleurs, le mouvement reprend avec un redoublement de puissance.

Des lors, tous vos arguments ne les touchent guère, parce qu’ils savent que la pratique a résolu et résout tous les jours devant eux, par eux, et pour eux, les difficultés soi-disant insolubles où s’embarrasse votre théorie.

Ainsi on objecte la pauvreté du vocabulaire dans les langues artificielles et on lui oppose la riche complexité des langues naturelles. On oublie qu’une langue naturelle n’est vraiment riche que pour celui qui, l’ayant apprise dès le berceau, la pratique à tous les moments de sa vie et surtout s’est rendu capable, par une forte culture littéraire, d’en découvrir et d’en utiliser les richesses ; mais pour ceux qui ne s’en servent que par routine, pour des étrangers, à quelle modeste quantité de mots et d’expressions est-elle réduite ! Qu’on le sache bien, toute langue usuelle, qu’elle soit naturelle ou artificielle, est nécessairement assez pauvre. Ce qui peut être riche, ce sont des parties spéciales, non usuelles, de la langue, ce qu’on pourrait appeler des sous-langues, par exemple la langue littéraire et surtout la langue scientifique. N’est-ce pas à cette dernière qu’on se réfère lorsqu’on plaint, non sans raillerie, le malheureux Esperanto qui, pour traduire des expressions scientifiques, doit se livrer sans cesse à des tours de force mal réussis, par exemple traduire transformation, ou plus vraisemblablement transformateur rotatoire par turnigha alispecigilo ? Mais où a-t-on pris la peine de se documenter sur ce point ? Je cherche dans le Vocabulaire technique français-esperanto de Verax, publié en 1907, comment se dit « transformateur » et j’y trouve comme unique traduction transformatoro ; pour « rotation », je lis rotado, et dans un dictionnaire plus récent du même auteur (1910) rotacio, si bien que transformateur rotatoire se traduit réellement en Esperanto rotada ou rotacia transformatoro.

Arguera-t-on contre l’Esperanto qu’il s’agit là d’un vocabulaire technique encore en formation, « auquel se consacrent une Commission et une Revue spéciale » ? — Mais est-ce que dans toutes les langues, même naturelles, il n’en va pas ainsi pour les termes scientifiques ? Est-ce qu’ils ne constituent pas dans toutes ces langues un vocabulaire technique, plus ou moins différent du vocabulaire de la vie commune et qui s’élabore au jour le jour par le travail collectif des intéresés, c’est-à-dire des savants eux-mêmes ? Pourquoi l’Esperanto, s’il doit être employé par les savants, n’aurait-il pas également sa langue savante à côté de la langue courante ? En quoi cela détruirait-il la simplicité et la facilité de la langue courante, qui seule importe pour la grande majorité des hommes (à laquelle d’ailleurs les savants appartiennent aussi), puisqu’on n’est obligé d’apprendre la langue savante qu’autant qu’on est obligé de s’en servir ? Est-il donc nécesssaire, pour savoir le français, de connaître le sens de mots comme acrogène, ganoïde, polymère, thiosinnamine, etc., etc. ? — Ajoutons qu’en règle générale les termes scientifiques se ressemblent singulièrement dans toutes les langues, étant tirés des mêmes racines grecques ou latines : ils sont déjà aux trois quarts internationaux et par conséquent tout prêts à être esperantisés. On voit à quoi se réduit un travail « colossal » qui aboutit à traduire des termes tels que le français carburateur, l’anglais, carburator, etc., par le terme karburatoro.

C’est à la pauvreté du vocabulaire qu’on attribue sans doute aussi la prétendue insuffisance de l’Esperanto pour les traductions littéraires. Mais quelle preuve effective donne-t-on de cette insuffisance ? La méthode d’argumentation est toujours la même : on déclare d’avance, et sans se soucier d’aller regarder les faits, que ceci ou cela est impossible, et cependant les faits, si on les regardait, montreraient que cette prétendue impossibilité est déjà réalisée. S’il est au contraire, comme nous le disions ici-même il y a trois ans (¹), une fonction littéraire que l’Esperanto puisse remplir, qu’il remplisse supérieurement, c’est la traduction, d’abord parce que l’Esperanto est une langue littéraire, s’il est vrai que, selon le témoignage non suspect des auteurs de l’Histoire de la langue universelle (²), il n’est pas une langue artificielle figée et morte, simple décalque de nos idiomes, mais une langue autonome, qui possède des ressources intrinsèques et illimitées, qui a une physionomie originale et un « esprit propre », une langue capable de vivre, de se développer et de dépasser en richesse, en souplesse et en variété les langues naturelles, enfin une langue susceptible d’élégance et de style, si l’on admet que la véritable élégance consiste dans la simplicité et la clarté et que le style n’est que l’ordre qu’on met dans l’expression de sa pensée ; ensuite parce que nulle autre langue, ne permettant comme elle la traduction d’une œuvre littéraire par un compatriote, par un ami de l’auteur, souvent par l’auteur même, ne présente les mêmes garanties de fidélité et d’exactitude. « Pour ma part, ai-je pu dire (³), ne sachant pas le russe, j’éprouve une sensation littéraire beaucoup plus intense et plus originale en lisant telle œuvre de Tolstoï, de Pouchkine, de Garchine, etc., traduite en Esperanto par un russe, que lorsque je lis cette même œuvre traduite en français par un français ; et la comparaison des deux traductions, toutes les fois où j’ai pu la faire m’a invariablement montré que la traduction esperanto était plus riche et plus précise que la traduction française. » En fait, cette langue, soi-disant impropre à la traduction littéraire, a déjà produit une véritable bibliothèque internationale où figurent Homère, Virgile, la chanson de Roland, Shakespeare, Racine, Molière, lord Byron, Gœthe et de nombreux écrivains russes et polonais.

(¹)  Revue Pédagogique, 15 décembre 1907.

(²)  MM. Couturat et Leau, Paris, Hachette.

(³)  Revue pédagogique, loc. cit.

Mais, dira-t-on, est-ce que dans ces traductions la monotonie des finales, la rencontre des sons les plus rebelles à l’harmonie, ne détruisent pas ce charme des œuvres littéraires, cette beauté de la forme qui peut se retrouver affaiblie, sans doute, mais encore réelle, dans une autre langue naturelle ? Et l’on donne des exemples de prétendue cacophonie espérantiste, empruntés d’ailleurs à des concurrents intéressés. Le lecteur, qui ignore les règles de la prononciation de l’Esperanto, est surtout frappé par l’aspect insolite et rébarbatif des mots imprimés, comme il le serait d’ailleurs pour une phrase en suédois ou en polonais, et il se demande comment l’Esperanto a pu être réputé pour une des langues les plus harmonieuses, la seule, dit-on, avec la langue de Mireille, qui ne fasse pas hurler le chien de Mistral. Mais tous ceux qui savent lire et dire l’Esperanto n’hésiteront pas à juger que l’Allemand, avec ses continuelles finales sourdes en, l’Italien même avec la prédominance constante des finales e, i, sont sensiblement plus monotones que lui.

Autre pierre d’achoppement pour les langues artificielles : la dérivation. Qu’est-ce à dire ? Que la dérivation dans ces langues n’est pas absolument parfaite, à cause de l’impossibilité de la soumettre à des règles absolues, de manière à éviter partout et toujours jusqu’à l’ombre de l’imprécision et de l’équivoque. — En vérité il y a longtemps que nous savons que la perfection n’est pas de ce monde ; mais si la dérivation dans les langues artificielles est imparfaite, que dirons-nous donc des langues naturelles ? Représentez-vous un étranger apprenant le français, à qui on enseigne à dériver les substantifs extraits des adjectifs par le moyen des suffixes esse, , eur, rie, etc., et qui se trouve en présence de dérivations telles que riche–richesse, pauvre–pauvreté et non pauvresse, gros–grosseur et non grossesse, étrange–étrangeté, bizarre–bizarrerie, etc., et comparez, s’il vous plaît, cette dérivation avec celle de l’Esperanto, où un seul et même suffixe, eco (¹), s’emploie invariablement dans tous les cas. Comparez encore les trois dérivations lainage, soierie, cotonnade, avec l’unique dérivation de l’Esperanto, lanaĵo, silkaĵo, kotonaĵo, et dites où est la plus grande régularité. Là où le français emploie plus de cent suffixes, dont aucun d’ailleurs n’a une signification unique et constante (cf. grand–eur, parl–eur, colonn–ade, noy–ade, etc.), l’Esperanto en a à peine une trentaine, dont chacun a toujours le même sens ; et c’est justement ce petit nombre de suffixes que lui reprochent les logiciens à outrance qui voudraient qu’on ne laissât jamais rien de sous-entendu dans la pensée et qu’on distinguât par exemple, même quand personne ne risquerait de s’y tromper, les deux sens du mot paternel dans des expressions comme celles-ci : « mon oncle est vraiment paternel pour moi ; — je sors de la maison paternelle. » N’est-ce pas proprement vouloir prendre un rasoir pour trancher un caillou ? Tous ceux qui ont pratiqué l’Esperanto savent fort bien que toutes les fois que la précision est nécessaire, cette langue donne le moyen de l’atteindre, sans imposer l’obligation de la poursuivre quand elle est superflue, et qu’elle permet tout aussi bien qu’une langue naturelle de distinguer, s’il en est besoin, entre pierreux et de pierre, et toutes autres nuances de ce genre.

(¹)  Prononcez etço, le c esperanto portant toujours sa cédille avec lui.

On pourrait redire des flexions ce que nous venons de dire des dérivations. N’est-ce pas évidemment une plus grande facilité que de n’avoir qu’un seul système de flexions pour distinguer le nom et l’adjectif, le masculin, le féminin et le neutre, le pluriel et le singulier, les temps et les modes des verbes ? Aussi ne le nie-t-on pas ; mais on se demande si « la facilité gagnée à l’apprentissage ne sera pas compensée par des difficultés éprouvées à l’usage ». La question est-elle paradoxale ou simplement inintelligible ? Nous pouvons en tout cas assurer qu’aussi bien dans l’usage que dans l’apprentissage, même un élève d’école primaire rencontrera beaucoup moins de gêne à distinguer et à rapprocher l’un de l’autre homo et homa, okulo et okula, parolo et parola, komenco et komenca, que homme et humain, œil et oculaire, parole et oral, commencement et initial, etc. Ici, ce n’est pas une seule désinence spéciale qu’il faut se rappeler ; c’est tout un système de formes, souvent très différentes, dont on doit apprendre le capricieux maniement.

III

Mais des dangers plus menaçants sont encore à venir. Ils se résument dans ce seul mot : évolution, aboutissant nécessairement à des scissions. Aujourd’hui nous n’avons peut-être qu’un Esperanto, partout identique à lui-même ; demain, dans dix ans, dans vingt ans, nous aurons deux, trois, quatre Esperanto plus ou moins différents les uns des autres, chacun inintelligible aux partisans des autres, Esperanto français, Esperanto anglais, Esperanto allemand, etc., et ainsi se trouvera rétablie la confusion des langues, le babélisme dont nous croyions être sortis pour toujours. Dès lors, à quoi bon superposer ainsi une seconde multiplicité, la multiplicité des Esperanto nationaux à celle des langues nationales ? N’est-ce pas déjà assez et trop de celles-ci ? Ou faudrait-il alors qu’un nouvel émule de Zamenhof, oublieux des leçons de l’expérience, se remette à poursuivre la même chimère et invente un nouvel Esperanto destiné, comme l’ancien, à s’effriter plus ou moins rapidement en une poussière de dialectes ?

Pour prévoir « tous ces malheurs de si loin », il suffit d’abord de remarquer qu’une langue qui vit doit évoluer. En vain objecterait-on que « par un contrat tacite, les hommes s’engagent à parler le même langage, à observer les mêmes lois grammaticales, à faire taire leurs préférences personnelles ». Il n’y a là, répondra-t-on, qu’une simple affirmation que contredisent les faits. Nous serions pourtant bien curieux de savoir quels sont ces faits, du moins en ce qui concerne l’Esperanto. Le seul fait que nous constations jusqu’ici, c’est que les textes écrits au début même de la langue sont encore parfaitement intelligibles pour les espérantistes d’aujourd’hui. Toute la différence entre les textes anciens et les textes nouveaux, quand il en existe, c’est que le vocabulaire de ces derniers est plus riche, contient un plus grand nombre de racines, emploie plus souvent des mots simples au lieu de mots composés ; mais ceci, c’est extension, enrichissement, ce n’est pas transformation, ni surtout déformation, et il n’y a rien là qui ressemble à cette scission en différents dialectes dont on agite à nos yeux l’épouvantail. Si donc, par évolution, on entend développement de la langue dans le sens d’un enrichissement du dictionnaire en vue d’un usage plus étendu ou plus précis, il est bien certain que l’Esperanto a déjà évolué et qu’il évoluera encore ; mais ce n’est pas là, à vrai dire, un changement, une altération de la langue, puisque les cadres grammaticaux (flexion, dérivation, etc.), restent invariables.

En fait, les prétendus dialectes qu’on voudrait opposer à l’Esperanto, tel que l’Ido, et ses variétés déjà nombreuses, le Romanal, l’Adjuvilo, ne sont nullement issus de l’Esperanto par voie d’évolution naturelle : ils ont été fabriqués de toutes pièces par des dissidents, qui ont en vain essayé jusqu’ici de faire adopter leur invention par la grande majorité des espérantistes ; à proprement parler, ce ne sont pas des dialectes, mais des contrefaçons ou, si l’on aime mieux, des systèmes rivaux, comme il s’en est déjà produit et comme il s’en produira encore par centaines.

En réalité une langue internationale comme l’Esperanto est beaucoup moins sujette aux altérations qu’une langue naturelle et nationale, et cela pour plusieurs raison. D’abord, l’usage en est moins fréquent, il est en somme accidentel, intermittent puisqu’il n’a lieu qu’avec des étrangers, et l’usage écrit l’emporte de beaucoup sur l’usage oral. En second lieu cette langue ne s’apprend pas par l’usage et la routine dans la première enfance, mais par le livre ou le maître, et quand l’intelligence est déjà formée. En troisième lieu, ceux qui s’en servent veulent avant tout être compris par des étrangers, et ils se rendent très bien compte que pour arriver à ce résultat, il faut qu’ils renoncent à toute fantaisie, à tout arbitraire individuel. Tant pis pour ceux qui ne se plieraient pas à cette nécessité et traiteraient l’Esperanto comme certains poètes décadents traitaient la langue française, faisant des poèmes intelligibles pour eux seuls. N’étant plus compris des étrangers, ils devraient renoncer à se servir de cette soi-disant langue internationale, qui serait en réalité leur langue exclusivement personnelle, ou s’ils voulaient être compris, il leur faudrait bon gré mal gré revenir à l’observation du contrat.

Mais, dira-t-on, les causes qui déterminent l’évolution sont inéluctables et on les trouve à la fois dans le domaine de la prononciation et dans celui des formes et des sens.

Tout d’abord, il y a pour les différents peuples autant d’échelles différentes de sons, sans commune mesure entre ces sons ; et c’est pourquoi un Espérantiste italien parlant Esperanto ne sera pas mieux compris d’un français que s’il parlait français. Les Espérantistes français qui ont assisté au Congrès espérantiste de Cambridge, en 1907, ont éprouvé, assure-t-on, les mêmes difficultés à comprendre les Anglais parlant Esperanto qu’ils en éprouvent à comprendre les Anglais parlant français. Je ne sais où l’on a pris ce renseignement, mais je puis dire, ayant assisté au Congrès de Cambridge, que je ne me suis nullement aperçu de ces difficultés. Très souvent, au contraire, j’ai été dans l’impossibilité de reconnaître à quelle nationalité appartenait maint congressiste étranger, anglais, allemand ou slave. Le même fait avait déjà été observé au Congrès de Boulogne. Dans la représentation du Mariage forcé, le rôle du philosophe Pancrace était tenu par un espérantiste étranger dont nous cherchions vainement, mes voisins et moi, à deviner la nationalité, jusqu’au moment où une citation latine, pugnis et calcibus, unguibus et rostro, prononcée à l’anglaise, nous fit enfin deviner son origine britannique.

L’argument tiré des confusions possibles entre des racines telles que bov et pov, fer et ver, etc., à cause de l’inversion des valeurs des sons b et p, v et f, etc., pour les Allemands du centre et du nord, s’il suffisait à prouver l’impossibilité de la compréhension par l’Esperanto, vaudrait a fortiori contre les langues nationales, et la conséquence qu’il faudrait en tirer, c’est qu’il est impossible qu’un Allemand arrive jamais à parler le français assez clairement pour se faire comprendre des Français, à plus forte raison si cet Allemand devait se servir du français comme langue internationale pour se faire comprendre d’un Anglais, d’un Italien et d’un Russe, réduits eux aussi à ce même expédient. C’est le cas de se rappeler l’adage : Qui veut trop prouver ne prouve rien.

On peut en dire autant de l’argument tiré des différences irréductibles de mentalité des diverses races. S’il est vrai que la mentalité de chaque race soit stéréotypée dans sa langue, comment veut-on que le français, par exemple, comme langue auxiliaire commune par tous les autres peuples, Anglais, Allemands, Slaves, etc., sans parler des Asiatiques, soit compris et employé d’une façon réellement uniforme par tous ces gens dont les cerveaux, par hypothèse, sont façonnés selon des types irréductibles entre eux et correspondent à des mentalités spécifiquement différentes ? On a beau dire qu’une langue naturelle existe par elle-même et est à elle-même sa commune mesure : ce prétendu axiome n’a de sens que pour les hommes dont elle est, par hypothèse, la langue naturelle ; pour les autres, elle restera nécessairement incompréhensible, malgré ou plutôt à cause des efforts faits par eux pour la comprendre par comparaison avec leur propre langue. Pas d’autre moyen pour eux de se l’assimiler que de se défaire de leur cerveau et de leur mentalité, pour prendre le cerveau et la mentalité dont cette langue est le produit, ce qui ne semble guère possible que par une sorte de magique transmutation d’âme, fort analogue à la métempsychose.

On exagère d’ailleurs singulièrement les différences irréductibles de la mentalité des différentes races. On oublie que si ces différences ont été produites par certaines causes, elles peuvent être détruites, ou du moins affaiblies, par certaines autres. Grâce aux progrès de la science, du commerce, du tourisme, en un mot, grâce à la multiplication des relations internationales, nous assistons précisément à la formation d’une mentalité internationale, qui va se superposant de plus en plus aux diverses mentalités nationales, et c’est justement ce fait qui explique le besoin grandissant d’une langue internationale nouvelle, organe de cette nouvelle mentalité.

D’autre part, le jour où cette mentalité internationale aura à son service un organe approprié, c’est-à-dire une langue qui, selon la définition déjà donnée, se juxtaposant aux idiomes parlés par chaque peuple, serve uniquement aux rapports internationaux, elle se développera et se précisera sans doute de plus en plus ; car si la fonction crée l’organe, réciproquement l’organe amplifie la fonction.

IV

Actuellement, il est vrai, il n’y a, comme on l’a fait remarquer, que trois catégories de gens qui paraissent avoir vraiment besoin d’une langue auxiliaire, les savants, les commerçants et les voyageurs. D’où vient cependant que la question de la langue internationale préoccupe plus ou moins tout le monde ? C’est que tout le monde fait plus ou moins partie, selon les circonstances, de ces trois catégories, qui ne sont d’ailleurs nullement séparées dans la pratique. Un savant français, qui écrit à un industriel allemand pour lui commander des produits chimiques ou des appareils d’optique, agit moins en savant qu’en commerçant ; et de même lorsqu’il se met en route pour assister à un Congrès scientifique international à Buda-Pesth ou à Stockholm, la qualité de savant cède en lui la place à celle de voyageur. Quel est d’ailleurs l’homme de notre temps, pour peu qu’il ait l’esprit cultivé, qui ne s’intéresse au mouvement scientifique dans le monde, ou quel est celui qui ne soit exposé à voyager un jour ou l’autre à l’étranger, à entretenir des relations d’affaires hors de son pays ? À une époque où les intérêts de classe entrent si souvent en conflit avec les intérêts nationaux, croit-on que les ouvriers d’une même industrie, que les classes ouvrières en général n’éprouveront pas un besoin croissant de faire échange de leurs idées et d’essayer de s’entendre par-dessus les frontières ?

Voilà pourquoi, sans doute, depuis près de cinquante ans, l’enseignement des langues vivantes prend une importance chaque jour plus grande dans l’éducation de la jeunesse. Uniformément, dans les lycées et collèges, on impose aux élèves l’étude d’une langue étrangère, sinon de deux, sans se préoccuper de savoir s’ils auront réellement besoin de s’en servir plus tard comme savants, commerçants ou touristes. Or, ceux-là seuls qui sont étrangers à l’enseignement peuvent ignorer de quel poids écrasant pèse actuellement cette obligation, sur notre jeunesse française et quels effets fâcheux elle risque d’avoir sur le développement intellectuel de notre race. Tandis que nous nous berçons de ce beau rêve de voir notre langue adoptée comme langue seconde par tous les autres peuples, nous ne nous apercevons pas que ce sont les langues de ces peuples qui viennent chez nous-mêmes absorber la majeure partie du temps et de l’intelligence de nos enfants, contraints, au détriment de la culture des facultés d’attention, d’analyse et de raisonnement, d’abandonner l’étude du grec, de négliger l’étude du latin, et même celle du français, qu’ils finissent trop souvent par écrire et parler comme si c’était pour eux une langue vraiment étrangère.

Or, quel remède nous propose-t-on pour mettre fin à cet état de choses ? Ah ! si l’on pouvait nous assurer, à nous Français, que tous les peuples vont s’entendre pour adopter le français comme unique langue auxiliaire internationale, peut-être aurions-nous mauvaise grâce à nous plaindre d’une solution qui nous délivrerait désormais, nous et nos enfants, de l’accablante tyrannie des langues étrangères ; mais non ! nous devrons continuer à étudier l’allemand, si nous voulons être au courant du mouvement scientifique universel, l’anglais pour suivre les fluctuations du commerce mondial, l’italien pour participer à l’évolution de la musique contemporaine dans tous les pays civilisés. Cela fait donc trois langues sans compter la nôtre, que nous devrons de gré ou de force faire entrer dans notre cerveau, chacune avec ses particularités, ses idiosyncrasies nationales. On nous promet, il est vrai, que les savants russes, suédois, japonais, hongrois, etc., se donneront le mot pour faire traduire leurs œuvres en allemand ; de même que sans doute tous les écrits intéressant le commerce, qui pourraient paraître en d’autres langues que l’anglais, seront traduits en anglais. Mais qu’est-ce que tout cela, sinon le maintien ou, pour mieux dire, l’aggravation de l’imbroglio actuel, et en quelque sorte l’organisation officielle et définitive du babélisme ? Une telle façon de résoudre le problème de la langue internationale équivaut pratiquement, ou nous nous trompons fort, à déclarer le problème insoluble (¹).

(¹)  Cf. L’Esperanto et les langues nationales, par le Général Sebert, Membre de l’Institut.

Supposons toutefois qu’une langue, la nôtre, soit déclarée par tous les Gouvernements langue internationale auxiliaire et employée comme telle dans tous les pays du monde. Qui ne voit que les raisons qu’on invoquait tout à l’heure pour proclamer impossible l’usage universel de l’Esperanto, vont s’appliquer avec une force encore plus grande au français ? Il ne s’agit plus ici, en effet, d’envisager le français comme une langue de haute culture, langue de prédilection et de luxe, adoptée par une élite de tous les pays désireuse de s’initier aux idées françaises et ne négligeant rien dans ce but : séjours habituels en France, conversations fréquentes avec des hôtes français, lecture assidue des œuvres littéraires françaises de toute sorte. Non, le français pour tous ces étrangers, qui ne voient en lui que la langue auxiliaire, deviendra rapidement une sorte d’Esperanto qu’il faudra surtout savoir pour communiquer, non pas seulement avec des français, mais avec des étrangers en général. Dès lors, est-ce que, par la force même des choses, et plus rapidement qu’on ne le croirait, il ne se formera pas au moins deux français : d’une part, le français de France, celui qui est le véritable patrimoine des Français, où ils ont mis, où ils continueront à mettre le meilleur de leur esprit et de leur âme, et d’autre part, le français mondial, international, parlé sous toutes les latitudes, chaque fois par exemple qu’un Allemand, un Portugais, un Russe et un Japonais se rencontreront et s’en serviront comme d’un truchement ? À qui fera-t-on croire que les différences de prononciation et de mentalité, si puissantes, dit-on, pour altérer l’Esperanto, seront sans effet sur une langue infiniment plus complexe et plus délicate, puisqu’elle est l’œuvre vécue de l’histoire d’un peuple, où elle plonge par toutes ses racines intellectuelles et physiques ? On sait combien le français parlé au Canada, en Belgique et dans la Suisse française, diffère du véritable français. Que sera donc du français cosmopolite, parlé par tous les portiers d’hôtel du monde entier ?

Par respect pour notre belle langue, souhaitons-lui d’éviter un si lamentable destin ; si elle doit se répandre à travers les peuples, que ce soit comme langue française et non comme langue internationale, pour l’expression et l’expansion de notre esprit national, non pour une banale fonction de courtage linguistique, où se perdraient à jamais son originalité et sa beauté. Comprenons qu’il est contradictoire de prétendre qu’une même langue puisse être à la fois le patrimoine d’un peuple particulier et le bien commun de tous les peuples. Dans l’intérêt de notre génie propre, aussi bien que dans l’intérêt de l’humanité, travaillons plutôt à hâter l’avènement de l’Esperanto comme langue internationale de l’avenir.

E. Boirac.

55118    Paris. — Imp. Gauthier-Villars et Cie, quai des Grands-Augustins, 55.


Quelques notes complémentaires (2017)

Cet argumentaire a été rédigé pour les lecteurs de la Revue pédagogique des années 1900 ; qu’on le qualifie de "daté" et d’ "ethno-centré" après plus de cent années est bien naturel.

À cette époque les instituteurs dans les campagnes de France étaient encore investis d’une mission quasi civilisatrice ; et ce même rôle la Nation tout entière prétendait le jouer à la face du Monde. — Mais cette époque est-elle si lointaine…

L’auteur, né dans les Colonies, philosophe, n’était certainement pas plus que ses collègues dupe de ce qu’il est convenu aujourd’hui de nommer le "roman national", dont l’un des principaux auteurs, E. Lavisse lui-même, reviendra plus tard.

Le présent argumentaire, sans se faire "roman espérantiste", lui est calqué dessus par sa manière d’en appeler aux grands idéaux, au progrès, à la liberté, à l’égalité, et parce qu’il montre semblablement un courageux peuple espérantiste parti de l’avant.

Toutefois l’argumentaire reste nuancé, l’espéranto ouvre une voie mais n’en est pas guide. Et l’auteur termine habilement en imaginant que le français serait devenu la langue internationale…

Mais le rôle de l’enseignement public dispensé par la République était aussi et surtout de répandre la langue de Paris, d’affaiblir les patois et les patriotismes de clochers, d’enseigner l’obéissance à la Capitale. L’auteur hélas n’aborde rien de cela. — Beaucoup plus tard, vers les années 1970, des espérantistes revendiqueront les trois langues : le patois, la langue nationale, la langue internationale, et c’est encore timidement qu’ils se revendiquent de la démocratrie.

Dans le texte le mot race est celui qui a le plus vieilli de tous ; il signifiait simplement lignée, descendance tout autant que famille culturelle, avec juste ce qui seyait de "cocorico". — Le colonialisme français, comparé aux autres, était une forme de paternalisme, plus que de racisme.

Ce texte renseigne aussi sur la situation du mouvement espérantiste en 1910. On remarque la vogue de l’espéranto en Allemagne, on devine aussi qu’il commence à être question de lutte des classes. — L’association Sennacieca Asocio Tutmonda se créera dix ans plus tard et restera notablement implantée dans les pays Germaniques jusqu’au nazisme.

On remarque aussi le rappel sur la Délégation pour l’adoption d’une langue internationale dirigée par le philosophe L. Couturat et sa réforme Ido qui avait provoqué en 1908 un schisme dans le mouvement espérantiste français. — Schisme probablement salvateur pour notre mouvement mais désastreux au regard de l’opinion sur l’idée même de langue internationale dont les tenants n’arrivent pas à s’entendre.

La réédition numérique ci-dessus recopie l’entièreté du texte de la brochure de 1914. Imprimée chez Gauthier-Villars son format est 24×16 cm., 16 pages, plus couverture papier vert, c’était la seconde édition par l’Office Central Espérantiste de ce tiré à part d’un article de la Revue pédagogique.

L’auteur, Émile Boirac, fut le président du premier Congrès international espérantiste puis le premier président de l’Académie d’espéranto. Il était à l’époque de cet article le Recteur de l’Académie de Dijon. Il mourut pendant la guerre, peu après l’initiateur de l’espéranto.

Esperanto-Biblioteko Hippolyte Sebert
R.F.


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