Unuiĝo Franca por Esperanto
Biblioteko Hippolyte Sebert
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Article du journal "L'Éclair" après le décès de L. Zamenhof :
C'était aussi une manière d'apôtre que ce brave homme qui disparaît, après avoir essayé de doter l'humanité d'une langue universelle. Il s'appelait Zamenhof ; il avait créé l'esperanto. Médecin polonais, à peu près sans clientèle, il vivait dans une petite cité cosmopolite qui lui rappelait la tour de Babel, par la confusion des langues qu'on y parlait. Était-il donc impossible que s'entendissent jamais ces gens qui, entre les uns et les autres, élevaient leurs idiomes particuliers, comme autant d'infranchissables frontières ? Ce devint chez lui une obsession. Il conçut une langue auxiliaire, d'une extême simplicité, se composant de seize règles qu'avec un peu d'application, on pouvait apprendre en deux ou trois jours.
C'était en son genre une sorte de chef-d'œuvre. Mais il entrait en concurrence avec une tentative similaire très inférieure et qui faisait précisément faillite : le volapuk, de l'abbé Johann-Martin Schleyer, de Constance.
Depuis longtemps, au moins depuis les débuts du dix-septième siècle, on cherche le truchement. Bien des systèmes ont été préconisés, qui n'étaient point pratiques et ne recueillirent que peu d'adeptes. Le volapuk était un premier effort intéressant. En une vingtaine d'années il avait gagné quelques partisans, mais principalement chez les peuples d'origine germanique. Il avait un aspect hérissé et barbare qui déplaisait. Il sentait sa kultur.
L'esperanto, que son brave homme d'inventeur préparait avec une ténacité indomptable, fit la conquête d'esprits fort distingués.
Il tirait son succès de ses résultats démontrés. Il était incontestable que des gens que séparent, plus que des milliers de lieux, leurs langues natales, à l'aide de ce procédé se rapprochaient étroitement.
Si l'esperanto avait des zélateurs enthousiastes, il avait aussi des ennemis irréductibles. On lui reprochait son internationalisme. C'était précisément sa raison d'être et sa vertu initiale. Autre grief : les Allemands, quoique vexés d'être détrônés comme inventeurs de la langue universelle, conseillaient l'esperanto à leurs commis-voyageurs collants et insidieux. Nous n'avions qu'à donner un même conseil aux nôtres, si ignorants d'ordinaire de la langue des contrées où ils opéraient, que l'esperanto ne leur eût pas été un inutile surcroît de bagage.
Je n'ai jamais pu m'expliquer le nationalisme borné, qui condamnait cette langue auxiliaire, sous prétexte que, si le Français devait imposer au Monde une langue, c'était la sienne. On sortait de la question, qui se pose ainsi : Est-il désirable qu'il y ait, pour les hommes habitant la planète, un moyen de se comprendre universellement entre eux ? Corneille n'a rien à voir là dedans, ni le Dante, ni Shakespeare. Encore que l'Esperanto avait l'ambition d'être assez souple pour traduire ces génies sans trop d'infidélité ; il éxagérait.
Le 1er août 1914, le deuxième Congrès de l'esperanto allait s'ouvrir à Paris. Les adhérents, venus de tous les points de l'horizon, y attendaient le maître : mais ce fut la guerre qui vint. Elle rappela chacun vers son devoir, en son idiome particulier.
Ce pauvre M. Zamenhof, après des tribulations inouïes à la frontière allemande, où l'esperanto n'avait plus cours, rentra chez lui, pleurant sur ses illusions mortes et son chef-d'œuvre à terre.
Mais l'esperanto meurt-il avec son inventeur ? Est-ce que cette guerre, qui a lié les intérêts de tant de peuples, n'établira pas entre eux, la paix revenue, un commerce étroit d'affaires et d'intelligences ? Unis dans la lutte, est-ce que nous allons nous séparer, les hostilités finies ? Au contraire, n'allons-nous pas souhaiter des échanges incessants ? Nous sommes douze peuples associés contre l'ennemi commun : combien parlons-nous de langues ? En attendant que nous devenions tous polyglotes, pourquoi repousserions-nous l'esperanto ? Après tout, il prévoyait à sa façon " l'ordre nouveau ", et peut-être même le préparait-il ?
Georges Montorgueil.