Unuiĝo Franca por Esperanto
Biblioteko  Hippolyte  Sebert

retour à la liste des nécrologies


Deux articles de presse d' Excelsior sur le décès de L. Zamenhof :

Excelsior, 17 Avril 1917 :
"Cette langue universelle était dans son esprit (…) un lien entre tous les peuples, un gage certain de paix."
Excelsior, 19 Avril 1917  (Sonia) :
"Le hasard des vacances m'avait conduite à Boulogne-sur-Mer, où venait de s'ouvrir un congrès d'espérantistes…"
"Mme Zamenhof accompagnait son mari. Je la vis un jour…"
"…Et voilà qu'à travers les lunettes de Zamenhof ils apercevaient Molière… Et ils l'acclamaient…"


Excelsior, Mardi 17 Avril 1917 :

 

Docteur Zamenhof

DOCTEUR ZAMENHOF

On apprend la mort, à Varsovie, du docteur Zamenhof, l'inventeur et l'apôtre de l'esperanto.

Cette langue universelle était dans son esprit, et dans celui de ses fidèles — car il avait de nombreux adeptes, et des plus convaincus — un lien entre tous les peuples, un gage certain de paix.

Le docteur Zamenhof serait-il mort d'une désillusion ?…



Excelsior, 19 Avril 1917 :

 

CE petit portrait de Zamenhof que publiait avant-hier Excelsior m'a rajeunie de douze ans. Je revois l'homme (une figure de petit rabbin), souriant, doux et fin, l'œil luisant sous le verre épais des lunettes. C'était en août. Le hasard des vacances m'avait conduite à Boulogne-sur-Mer, où venait de s'ouvrir un congrès d'espérantistes : le premier paraît-il. On avait choisi Boulogne, parce que le bon petit docteur, inventeur de l'esperanto, comptait en cette ville quelques disciples passionnés qui lui avaient fait la plus assidue propagande. Et la plus efficace aussi. Je ne m'attendais point à ce spectacle, et je me souviens que j'en fus abasourdie. Pour la première fois de ma vie je rencontrais, aux façades de quelques magasins, cette double inscription : English spoken — Oni parolas esperanto ; et, à la quatrième page d'un journal local, cette annonce qui me stupéfia : « On demande un jeune homme sachant écrire et parler l'esperanto. » Il paraît que ces employé-là étaient fort recherchés par les commerçants.

L'ouverture du congrès, qui se tenait au théâtre de la ville et où s'étaient donné rendez-vous six ou sept cents espérantistes venus de tous les pays, avait mis Boulogne en fête. Le drapeau vert et blanc de l'esperanto flottait aux fenêtres ; à toutes les vitrines, la photographie du bon docteur ; les bureaux de tabac offraient la « cigarette Esperanto » ; le « champagne Zamenhof » s'annonçait sur les cartes des restaurants. Dans les cafés, on vendait la « liqueur espérantine », et aussi l' « amer Zamenhof », — la plej bona el aperitivoj, disaient les étiquettes, c'est-à-dire : le meilleur des apéritifs !

Mme Zamenhof accompagnait son mari. Je la vis un jour, à l'entrée du théâtre, au milieu d'un groupe de dames qui causaient avec elle. J'écoutais ; je ne comprenais pas ; et je voyais Mme Zamenhof rire de tout son cœur.

— Si vous saviez comme elle est heureuse ! me dit un espérantiste boulonnais. Songez qu'avant que son mari lui eût enseigné, en quelques semaines, l'esperanto, cette femme ne savait que le russe et le polonais. La voilà entourée d'une dizaine de dames dont aucune ne sait le russe ni le polonais et qui appartiennent à cinq ou six nationalités différentes, — pour le moins. Toutes la comprennent ; et elle les comprend. C'est la joie !

J'avais été invitée à leur soirée théâtrale et je les avais entendus chanter l'hymne l'Espéro ; après quoi, ils jouèrent la comédie. Cela, ce fut quelque chose d'étonnant. Des universitaires français, membres du congrès, avaient traduit en esperanto le Mariage forcé. Les rôles furent appris en deux jours. Et j'eus l'amusement inoubliable d'assister à un véritable délire de gaîté. La plupart de ces hommes et de ces femmes — qui représentaient dix-huit nationalités, je me rappelle — ignoraient le Mariage forcé et l'eussent ignoré toute leur vie. Et voilà qu'à travers les lunettes de Zamenhof ils apercevaient Molière… Et ils l'acclamaient ; et ils s'amusaient comme des fous.

Zamenhof est mort. Ce petit médecin de Varsovie qui, sans fortune, sans relations, par la seule puissance d'une volonté tranquille, avait amené de tous les pays une armée de disciples autour de son rêve, a été un homme très injurié, très blagué… L'avenir jugera son œuvre, et je ne suis pas assez savante pour avoir une opinion à ce sujet. Mais je ne puis me défendre d'admirer l'homme qui sut ainsi vouloir et qui sut ainsi « rêver »…

SONIA.        


retour à la liste des nécrologies

arkivo.esperanto-france.org