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Article du Figaro commentant le décès de L. Zamenhof :

Le Figaro, 17 Avril 1917  (Émile Berr) :
"Il y eut, le 1er août 1914, un homme — un petit homme admirable — à qui la nouvelle de la mobilisation porta un terrible coup."
"Zamenhof était né à Bielostok, qui est une ville habitée par des Russes, des Polonais, des Israélites et des Allemands…"
"Il avait créé cette langue, dont seize règles composaient toute la grammaire, où douze terminaisons suffisaient à la conjugaison…"
"…Les Boches s'emparaient de l'espéranto pour mieux insulter et mieux mentir ! Zamenhof, être chétif et tendre, n'a pu supporter cela…"


Le Figaro, Mardi 17 Avril 1917 :

 

Le Figaro, 17 Avril 1917

AU JOUR LE JOUR


ZAMENHOF


Il y eut, le 1er août 1914, un homme — un petit homme admirable — à qui la nouvelle de la mobilisation porta un terrible coup.

Le docteur Zamenhof, inventeur de l'espéranto, était parti de Varsovie avec sa femme, pour présider à Paris son dixième congrès. Le premier avait eu lieu, il y a douze ans, à Boulogne-sur-Mer où l'espérantisme avait fait un grand nombre de prosélytes ; les autres s'étaient succédé en toutes directions, à Genève, à Cambridge, à Dresde, à Barcelone, à Washington, Anvers, Cracovie, Berne… Les disciples de Zamenhof annonçaient que ce congrès de Paris serait un triomphe. Quatre mille adhérents de toutes nationalités y attendaient le Maître ; on avait loué le « Gaumont » pour les y recevoir. Ce triomphe fut une débandade. Les étrangers espérantistes quittaient Paris en toute hâte, à l'exception des résidents neutres ou amis, ou de ceux que la police dirigeait vers les camps de concentration… Quant au docteur Zamenhof, il était arrêté par les Allemands à la frontière et sommé de rebrousser chemin ; et péniblement, au prix de mille difficultés, il rentrait par la Suède et la Finlande à Varsovie.

Il n'en était plus sorti depuis trente-deux mois, et il vient d'y mourir, à l'âge de soixante-trois ans.

Les journaux allemands qui se publient à Varsovie disent qu'il était malade depuis des mois. Ses amis sont persuadés qu'il est surtout mort de chagrin.

Le tragique contretemps de 1914 lui avait été très sensible. Mais quelque chose l'avait atteint bien plus douloureusement : c'était, peu de temps après, le spectacle de la propagande espérantiste organisée par les Allemands !

Zamenhof était né à Bielostok, qui est une ville habitée par des Russes, des Polonais, des Israélites et des Allemands. Il avait vécu en cette tour de Babel, effaré, dès son enfance, par la confusion des quatre langues qu'il entendait parler à la fois. Et c'est là qu'il avait formé ce rêve d'une langue unique, très simple, très claire, très facilement apprise, et grâce à quoi les hommes, à force de se comprendre mieux, arriveraient à s'aimer davantage…

Il avait créé cette langue, dont seize règles composaient toute la grammaire, où douze terminaisons suffisaient à la conjugaison de tous les verbes, et qu'en une vingtaine d'heures un homme d'instruction moyenne pouvait lire et écrire couramment. Il ne lui restait plus qu'à faire connaître son espéranto. Il avait vingt-huit ans. Il était médecin, et sans fortune. En dépit de toutes les déceptions, de tous les obstacles, de toutes les railleries, il entreprit cet apostolat. Moins de vingt ans plus tard, en 1905, c'était le congrès de Boulogne-sur-Mer, — la première victoire. Et, d'année en année, les adhérents s'empressaient, plus nombreux, vers le maître. Des manuels d'espéranto tiraient à 100,000 exemplaires. Et Zamenhof voyait déjà se réaliser son rêve de fraternité universelle... Rude réveil ! Ainsi l'instrument d'accord et de paix qu'avait forgé le petit médecin de Varsovie pouvait devenir, aux mains de ce peuple qui salit tout, un instrument de guerre, un moyen de diffamation internationale. Les Boches s'emparaient de l'espéranto pour mieux insulter et mieux mentir !

Zamenhof, être chétif et tendre, n'a pu supporter cela. Il est tombé malade. Alors sa clientèle a dû l'abandonner. Il n'avait jamais été riche ; à la douleur de vivre s'est ajoutée la difficulté de faire vivre les siens. Il est donc mort très malheureux ; aussi injustement malheureux que possible.

Émile Berr.      


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