Unuiĝo Franca por Esperanto
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Articles de journaux de Genevois commentant le décès de L. Zamenhof :

Le Journal de Genève, 19 Avril 1917  (Edmond Privat) :
"…Encore enfant, il fut frappé par l'influence exercée sur ces haines populaires par la barrière des langues…"
"Le Dr Zamenhof avait depuis longtemps abandonné la direction du mouvement à des comités internationaux et le contrôle de la langue à une académie des meilleurs écrivains…"
"…Ce qui a sauvé l'esperanto, c'est son « âme », qui en fait une langue vivante au lieu d'un froid système…"
"En décembre dernier, j'avais trouvé M. le Dr Zamenhof très atteint par l'effet de la guerre…"
"…si le monde a compris surtout les côtés pratiques de son œuvre, lui-même ne s'intéressait qu'à l'idéal humain qu'il voulait atteindre."
La Tribune de Genève, 27 Avril 1917 :
"Un bref télégramme de Varsovie a annoncé la mort du Dr Zamenhof, auteur de l'Esperanto…"
"…Zamenhof, frappé des malentendus et des haines qui résultent de la diversité de langage, conçut dès son enfance l'idée de créer une langue auxiliaire neutre…"
"La première brochure, parue en 1887 à Varsovie sous le pseudonyme de D-ro Esperanto (celui qui espère)…"
"…partout des sociétés se fondent, les livres et les journaux se multiplient, les pouvoirs publics s'intéressent à l'effort des espérantistes…"
"…tout porte à croire que dans la période de reconstruction qui suivra la guerre, l'esperanto sera appelé à jouer un rôle important dans l'œuvre du rapprochement des peuples…"


Le Journal de Genève, Jeudi 19 Avril 1917 :

 

Le docteur Zamenhof


La mort du Dr Zamenhof sera douloureusement ressentie par des milliers d'hommes de bonne volonté dans tous les pays du monde et dans leurs tranchées. Dans les plus petits bourgs de France, de Chine ou de Russie on trouve des cercles d'espérantistes qui lui vouaient une affection profonde à cause de sa bonté touchante, de son humilité proverbiale et de l'esprit de fraternité humaine qui lui dicta son œuvre.

Fils d'un instituteur idéaliste, Louis-Lazare Zamenhof était né en 1859 à Bialostok, dans cette région de l'ancienne Pologne où se coudoient Juifs, Polonais, Allemands et Blanc-Russiens, souvent jetés les uns contre les autres par d'âpres conflits de races. Encore enfant, il fut frappé par l'influence exercée sur ces haines populaires par la barrière des langues. Il décida de consacrer sa vie à cette question et conçut bientôt le projet de faire enseigner dans toutes les écoles du monde une langue auxiliaire commune que chacun apprendrait à côté de sa langue maternelle. Élève au gymnase de Varsovie, il songea d'abord au grec ou au latin, puis au français ou à l'anglais. Il comprit qu'on ne pourrait ressusciter les premières sans les mutiler et que les secondes, encore trop difficiles, n'ont pas le caractère de neutralité nécessaire. Il comprit aussi qu'un idiome créé de toutes pièces ne pourrait pas jouer ce rôle. La chute du volapük l'a bien prouvé. Après de longues études de linguistique il en vint à cette conclusion que la langue internationale existe en fait et qu'une base de vocabulaire est déjà constituée par toutes les racines de mots qui sont communes à plusieurs langues européennes. Ayant dressé la liste de ces racines, il la publia en 1887 en employant une orthographe phonétique et en y ajoutant une grammaire réduite au strict minimum. Sauf le choix des terminaisons, il n'y avait en somme rien d'artificiel dans ce projet. Le Dr Zamenhof ne voulait pas être un créateur, mais seulement un initiateur. Il lançait une petite brochure de seize pages avec une idée et des directions. Sur cette base, une langue s'est peu à peu construite par la collaboration de ceux qui lui ont donné la vie en l'écrivant et en la parlant.

Depuis trente ans, le vocabulaire s'est enrichi considérablement ; un style s'est formé sous l'influence de plusieurs écrivains de valeur, surtout des Slaves. À la veille de la guerre, il paraissait deux cent et quelques journaux périodiques en esperanto ; des centaines de nouveaux livres s'imprimaient chaque année ; de grands congrès se réunissaient chaque été ; des bureaux de renseignement s'étaient organisés un peu partout et l'on voyait accroître chaque jour le nombre des touristes et des commerçants qui employaient l'espéranto pour leurs voyages et leur correspondance. La langue parlée avait pris son essor.

Le Dr Zamenhof avait depuis longtemps abandonné la direction du mouvement à des comités internationaux et le contrôle de la langue à une académie des meilleurs écrivains. Mais il en suivait les progrès avec passion et se réjouissait de le voir résister victorieusement aux écueils et aux continuels projets de réforme lancés par des concurrents, et dont le dernier en date fut l'ido. Ce qui a sauvé l'esperanto, c'est son « âme », qui en fait une langue vivante au lieu d'un froid système. C'est là que la personnalité de Zamenhof a laissé la plus forte empreinte. Les premiers milliers d'adeptes étaient, pour la plupart, des idéalistes enthousiasmés pour ses idées de fraternité entre les peuples. La littérature espérantiste est tout inspirée de ces sentiments, à tel point qu'elle a donné à la langue elle-même un esprit qui lui est propre. Ce phénomène a déjà retenu l'attention de plus d'un psychologue du langage.

En décembre dernier, j'avais trouvé M. le Dr Zamenhof très atteint par l'effet de la guerre. Ce déchaînement de haine le faisait cruellement souffrir. L'esperanto continue à faire des progrès. Des millions de prisonniers l'apprennent dans les camps de concentration et Zamenhof sentait bien qu'après la guerre son œuvre prendrait un nouvel essor. Il parlait même d'un congrès à convoquer à Varsovie dans la Pologne restaurée, mais il voyait ses forces l'abandonner de plus en plus et trouvait naturel de ne pas survivre à tant d'amis plus jeunes, dont les journaux espérantistes lui apportaient chaque mois de lugubres listes.

En profonde sympathie avec M. Romain Rolland, qu'il eût souhaité connaître, il espérait que les peuples chercheraient un jour à s'entendre directement. C'est à ce but qu'il a consacré sa vie et, si le monde a compris surtout les côtés pratiques de son œuvre, lui-même ne s'intéressait qu'à l'idéal humain qu'il voulait atteindre.

Edmond Privat.      


La Tribune de Genève, Vendredi 27 Avril 1917 :

 

La Tribune de Genève, 27 Avril 1917

CHEZ LES ESPÉRANTISTES


Le Dr Zamenhof


Un bref télégramme de Varsovie a annoncé la mort du Dr Zamenhof, auteur de l'Esperanto. Cette nouvelle retentira douloureusement dans le cœur de tous ceux — et ils sont des milliers dans tous les pays — chez lesquels l'œuvre de Zamenhof a éveillé un intérêt durable et une sympathie profonde.

Né en 1859 à Bielostock, ville de Pologne où ne se parlent pas moins de quatre idiomes différents, Zamenhof, frappé des malentendus et des haines qui résultent de la diversité de langage, conçut dès son enfance l'idée de créer une langue auxiliaire neutre destinée à servir de lien commun entre tous les hommes, à quelque peuple qu'ils appartiennent. Ce fut donc dans une pensée humanitaire, en vue d'un idéal de libre entente et de concorde entre les hommes qu'il se mit au travail. Doué d'une extraordinaire intuition linguistique et familiarisé dès le plus jeune âge avec les principales langues, Zamenhof, après divers tâtonnements, inévitables dans une tâche de pareille envergure, créa l'esperanto.

La première brochure, parue en 1887 à Varsovie sous le pseudonyme de D-ro Esperanto (celui qui espère), contenait tout l'essentiel de la langue qui depuis s'est développée d'une manière autonome précisément dans la ligne des principes formulés par l'auteur. Cependant il restait à faire pénétrer l'esperanto dans le domaine pratique.

Tâche énorme. Les débuts furent extrêmement pénibles. Durant les dix premières années, Zamenhof connut toutes les difficultés, tous les déboires que rencontre l'homme de génie se heurtant à l'incompréhension ou à l'indifférence de ses contemporains. Empêché par les nécessités de l'existence de consacrer toute son activité à l'esperanto comme il l'aurait désiré (jusqu'à l'année dernière il exerça la profession de médecin oculiste), affligé d'une santé délicate, il vécut des années vraiment douloureuses. Cependant sa langue ralliait quelques adeptes en Russie, en Allemagne, en Suède.

En 1889 le premier journal paraît ; plusieurs traductions voient le jour, lentement l'intérêt s'éveille. Cependant ce n'est qu'à partir de 1898 époque à laquelle l'esperanto se répand en France, que la propagande devient plus systématique et plus efficace.

En 1905, un Congrès Universel se réunit à Boulogne-sur-Mer, où le Dr Zamenhof eut la joie d'entendre pour la première fois des centaines d'hommes venus de tous les pays converser dans la langue qu'il avait créée ; son rêve se réalisait.

Dès lors le succès s'affirme, partout des sociétés se fondent, les livres et les journaux se multiplient, les pouvoirs publics s'intéressent à l'effort des espérantistes ; une intense propagande est faite dans tous les pays ; et, important pas en avant, plusieurs organisations se créent en vue d'utiliser l'esperanto dans toutes les branches de l'activité internationale.

Plus de 3500 personnes s'étaient inscrites pour le Congrès de Paris qui devait s'ouvrir le 1er août 1914.

Malgré le bouleversement que la guerre a amené dans l'état des relations internationales, le mouvement espérantiste reste bien vivant, et tout porte à croire que dans la période de reconstruction qui suivra la guerre, l'esperanto sera appelé à jouer un rôle important dans l'œuvre du rapprochement des peuples. Si, comme tant de précurseurs, Zamenhof n'a pu assister au triomphe final, il a du moins conservé l'assurance que ce qui avait été créé au prix de tant d'efforts demeurera au delà de la sombre période actuelle.

H. H.      


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