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Article du "Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis", de Pierre Desproges, 1985 :

Un article de dictionnaire sur Zamenhof :
Pierre Desproges, journaliste indépendant, inénarable interviewer de Françoise Sagan pour le "Petit Rapporteur", nécessaire "Monsieur Cyclopède" télévisuel, inflexible Avocat Général du "Tribunal des Flagrants Délires" radiophoniques, artiste de scène disparu trop tôt, publia en 1985 un petit dictionnaire dont le dernier article porte sur Zamenhof. Cet article livre de précieux éclaircissements sur les circonstances exactes du décès de l’utopiste injustement méconnu.


Zamenhof (Lejzer Ludwik), médecin et linguiste polonais, né à Bialystok (1859-1917). On lui doit l’invention de l’espéranto.

Tout le monde s’en fout et c’est dommage. Quand on sait qu’à la base de tous les conflits, de toutes les haines, de toutes les guerres, de tous les racismes, il y a la peur de l’Autre, c’est-à-dire de celui qui ne s’habille pas comme moi, qui ne chante pas comme moi, qui ne danse pas comme moi, qui ne prie pas comme moi, qui ne parle pas comme moi ; quand on sait ces choses, dis-je, on est en droit de se demander si, par-dessus les têtes couronnées des potentats abscons qui nous poussent au massacre tous les quatre printemps, l’usage d’une langue universelle ne saurait pas nous aider à résoudre nos litiges et à tolérer nos différences avant l’heure imbécile du fusil qu’on décroche et du clairon qui pouète. Enfin. Bon. Utopie.

Lejzer Ludwik Zamenhof est mort à Varsovie le 5 septembre 1917, dans des circonstances dramatiques. Il n’est pas trop fort de dire qu’il est mort pour l’espéranto. Ce jour-là, il descendait la Vistule. Un alligator, d’autant plus désagréable qu’il s’emmerdait tout seul (la proportion d’alligators par habitant en Pologne n’atteint pas zéro pour mille), fit volontairement chavirer son frêle esquif dans les eaux troubles et glauques. L’alligator, qui ne savait pas nager, coula à pic. Quant à Zamenhof, c’est en vain qu’il appela à l’aide les nombreux pêcheurs à la ligne témoins du drame. Aucun de ces braves hommes ne parlait l’espéranto. Aucun ne comprit que le vibrant « Au secouro ! » poussé par Zamenhof signifiait « Au secours ! ». Ainsi, alors que d’autres, comme la marquise de Pompadour, réussissent une carrière grâce au maniement d’une langue, Lejzer Ludwik Zamenhof mourut d’avoir voulu montrer la sienne à tous les passants.

Aujourd’hui, Zamenhof repose à l’ombre d’un grand cyprès dans le cimetière juif de Varsovie.

Pourquoi au cimetière juif, alors que, de notoriété publique, il était plus catholique qu’un essaim d’intégristes ? Parce que Zamenhof, jusqu’au bout fidèle à son idéal, avait exigé que l’adresse de sa dernière demeure figurât en espéranto sur le couvercle de son cercueil.

Pour un croque-mort polonais, hélas, l’espéranto, c’est de l’hébreu.


Qu’on ne se méprenne pas, P. Desproges était bien informé sur l'espéranto, son histoire, sa grammaire, sa philosophie. Remarquer que c’est à la gent saurienne qu’il attribue la fin de l’aventure …


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