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Biblioteko  Hippolyte  Sebert

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Le Mont-Saint-Michel — 3/12

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Roc dans la forêt, puis écueil dans la mer, oratoire, abbaye, forteresse, ville close, prison d’État, pèlerinage de croyants et pèlerinage d’artistes, le Mont a vu s’accumuler sur un si mince piédestal toutes les grandeurs de l’Histoire, de la Foi, et de l’Art. Chaque siècle en passant y a déposé comme une alluvion de souvenirs et de monuments dont le fantastique empilement émerveillera à jamais la postérité. Chose étrange, ce rocher inhumain, perdu entre le ciel et l’eau, fut un aimant pour l’homme : il y est venu en foule avec la robe du moine, la cuirasse du chevalier et le bourdon du pèlerin, avec la crosse du prélat et la couronne des rois, aussi, hélas ! avec le canon de l’assiégeant et la torche de l’incendiaire. Il est venu pour y ouvrer des chefs-d’œuvre et parfois pour les détruire, pour y prier ou pour y piller, pour y goûter des joies pures de poète et aussi pour y gémir dans des cachots… En un mot, toute l’humanité a tenu sur ce récif des grèves, avec son éternel contraste de grandeur et de misère ; nulle part elle ne s’est élevée plus haut, jusqu’au génie et à la sainteté, mais une si longue histoire peut-elle se feuilleter en ce monde sans qu’une page souillée ou sanglante s’intercale çà et là parmi tant de pages héroïques et radieuses ?

Le Châtelet.
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Le Châtelet

Et ainsi, s’auréolant de gloire à travers les âges, cette pointe de granit aride et nue a vu croître sur son échine rugueuse une miraculeuse floraison : remparts, tours, terrasses et degrés, salles gothiques sur salles gothiques, cloître église et clochers… Tout un amphithéâtre inouï de constructions, militaires à la base, religieuses au sommet, et dont la montée de plus en plus légère accuse comme une immense aspiration vers le ciel. « Le Mont, a écrit M. Hanotaux, c’est un rocher qui s’émeut et s’achève en prière. » N’est-ce pas, en effet, tout un symbolisme que cette pyramide de fortifications et d’hôtelleries se résumant dans le seul élan d’une cathédrale, que cette pierre massive à peine éclairée de meurtrières et de créneaux ; puis, s’élevant de plus en plus aérienne jusqu’à l’envol final des pinacles, des clochetons, de l’ « escalier de dentelle », — telle la fine mâture d’une frégate couronnant la puissante carrure de la coque, à triple rang de sabords ?

L’ Escalier de Dentelle.
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L’ Escalier de Dentelle

Le Mont-Saint-Michel est bien, selon le mot d’Ardouin-Dumazet, « le plus sublime des poèmes de pierre élevés par la main des hommes » ; il est bien réellement « la Merveille de l’Occident ».

Chapiteaux : Promenoir, Aquilon, Aumônerie, salle des Hôtes.
Chapiteau du Promenoir Chapiteau de l’Aquilon Chapiteau de l’Aumônerie Chapiteau de la salle des Hôtes

Et non seulement c’est une merveille unique, mais c’est encore une merveille qui ne se recommencera jamais plus, et voilà pourquoi nous ne pouvons l’admirer sans un sentiment de regret impuissant. Nous vivons à une époque d’individualisme : un génie peut encore enfanter un chef-d’œuvre. Mais on ne verra plus des générations entières travailler six siècles durant dans l’anonymat à un pareil amoncellement de chefs-d’œuvre ; on ne verra plus une œuvre aussi colossale se poursuivre, une et harmonieuse, malgré la succession des âges et la diversité des talents, et renaître toujours avec une ténacité invincible des ruines causées par la foudre, l’incendie et la guerre.

Plomb de pèlerinage,
XVe siècle.
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Plomb de pèlerinage

Le Mont ne pouvait surgir qu’en un temps où toutes les personnalités s’effaçaient, où tous les efforts coopéraient dans un idéal commun, supérieur à tous, en un temps où l’Art vivait d’une vie propre en dehors et au-dessus des artistes, c’est-à-dire où l’Art avait une âme, où l’Art était une Foi !

Ces temps sont révolus, L’idée qui avait créé le Mont l’a déserté : ce n’est plus qu’une sublime enveloppe, vide de la vie qui l’a emplie durant près de douze cents ans ; il ne connaît plus l’animation des frocs et des armures, ni les splendeurs de la liturgie. Ah ! si l’on pouvait encore, par les nuits sereines, voir la silhouette des sentinelles errer sur les remparts puis, à cent mètres au-dessus des grèves, les grandes verrières gothiques flamboyer comme des pages de missel, tandis que les chants sacrés monteraient dans le silence et s’envoleraient dans le vent avec la grande voix de la mer !

Mais la réalité de jadis ne sera plus à tout jamais qu’un rêve de poète. Le Mont est mort à la religion du Christ ; du moins il vivra éternellement pour la religion de la Beauté.

La Rue.
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La Rue


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