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Biblioteko  Hippolyte  Sebert

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Le Mont-Saint-Michel — 5/12

Jusqu’à cette époque, le Mont était resté sans défenses sérieuses. Les grands travaux de fortifications furent entrepris sous l’abbé Richard Tustin (1236-1264) grâce aux libéralités du roi saint Louis qui vint deux fois au Mont en solennel pèlerinage. Le Mont-Saint-Michel fut dès lors une abbaye militaire qui eut, sous les ordres de l’abbé, un gouverneur nommé par le roi de France et une garnison entretenue à frais communs.

Le XIVe siècle débute mal pour le roc sacré : la foudre semble vouloir punir l’audace de ce géant orgueilleusement dressé, tout seul sur l’uniformité des grèves. En l’an 1300, le feu du ciel consume en partie la ville et le monastère, et les traces du désastre sont à peine effacées — toujours par la générosité d’un pèlerin couronné, Philippe le Bel — qu’un nouvel incendie s’allume à la lueur des éclairs.

Armoiries du Roi, de l’Abbaye et de la Ville
gravées sur la Porte du Roi, XVe siècle.
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Armoiries du Roi, de l’Abbaye et de la Ville

Cependant le Mont allait connaître un ennemi plus terrible encore. La sombre époque est venue de la guerre de Cent Ans…, l’époque héroïque aussi ! Le léopard anglais rôde sans cesse sur nos côte semant partout la dévastation et la ruine ; par-dessus tout il convoite Saint-Michel, car la forteresse est bonne et l’abbaye est riche. Pour mieux guetter sa proie il s’installe à Tombelaine, en 1372, face à face avec le Mont. Alors, dans la solitude et le péril des grèves, un formidable tête-à-tête commence entre les deux rocs ennemis. Pendant plus de soixante ans les « Michelots » ne connaîtront plus ni repos, ni trêve, mais les alertes continuelles, les sièges, les assauts, les escarmouches, la disette et la misère. Pourtant, leur vaillance ne se démentira pas un instant, et, après avoir vécu un merveilleux rêve d’art, ils vont vivre une épopée. Du Guesclin vient parfois combattre à leurs côtés : même quand il guerroie au loin, le vaillant connétable ne peut oublier le Mont, car il y a établi sa femme, Tiphaine Raguenel, trop menacée dans son château de Pontorson.

Les abbés, eux aussi, sont à la hauteur des circonstances : c’est Geoffroy de Servon (1363-1386), autant capitaine qu’abbé ; c’est Pierre le Roy (1386-1410), grand savant et grand bâtisseur, qui reçoit magnifiquement Charles VI et devient son conseiller. Mais, hélas ! ils ont pour successeur Robert Jolivet (1410-1444), qui termine une carrière brillante par la honte d’une trahison. Cet abbé indigne, nous le trouvons, en 1423, non pas avec ses moines dans l’enceinte du Mont, mais parmi les assaillants, avec l’Anglais Bedfort qui, vaincu dans les luttes loyales, essaie de réduire la vaillante petite place par la félonie et par la famine… Il semble un instant qu’elle va succomber. Mais non ! Une flotte malouine arrive à la rescousse, fond à l’abordage sur les vaisseaux anglais et réussit à délivrer les assiégés.

Bombardes anglaises de 1434.
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Bombardes anglaises de 1434

Alors arrive au Mont un habile capitaine, Louis d’Estouteville, qui s’applique d’abord à relever et à renforcer les fortifications endommagées…, sages précautions ! Car, en 1434, l’Anglais tente un dernier et définitif assaut ; il lance 8 000 hommes contre les remparts, mais avec une poignée de héros — exactement 119 dont l’histoire a conservé les noms — d’Estouteville tente une sortie désespérée et bientôt les Anglais en déroute fuient de toute part, abandonnant leur artillerie sur la grève.

Malgré ce brillant fait d’armes, les Anglais ne quittèrent complètement les abords du Mont-Saint-Michel qu’après avoir été chassés de toute la Normandie, en 1450.

L’abbaye des grèves put enfin respirer et panser ses blessures ; elle reprit possession de ses biens depuis longtemps séquestrés, de son argenterie et de ses reliquaires qu’elle avait été réduite à engager pour ne pas mourir de faim. Elle reprit surtout avec un regain d’ardeur son magnifique labeur d’art chrétien et Guillaume d’Estouteville, — le frère du capitaine, — nommé abbé commendataire (1446-1482) commence le chœur de l’église tel que nous l’admirons encore aujourd’hui dans son exubérante floraison.

Armoiries de l’abbaye
et collier de l’ordre de Saint-Michel.
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Armoiries de l’abbaye et collier de l’ordre de Saint-Michel

Une ère de prospérité nouvelle s’ouvrait pour le Mont-Saint-Michel. La dévotion particulière à l’Archange, si puissamment propagée par Jeanne d’Arc, attira les pèlerins en plus grand nombre que jamais ; les hôtelleries et les boutiques se multiplièrent dans la ville au point qu’il fallut élargir l’enceinte. Enfin Louis XI mit le comble au prestige du monastère en instituant, en 1469, l’ordre royal de chevalerie de Saint-Michel, dont les premières assises solennelles furent tenues dans la grande salle capitulaire, appelée depuis lors la salle des Chevaliers.

Sonnette de pèlerin,
XVIe siècle.
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Sonnette de pèlerin

Pourquoi faut-il que ce même Louis XI ait institué aussi les cachots de l’abbaye ! Sinistre innovation dont ses successeurs devaient se souvenir trop souvent.

Avec le XVIe siècle s’éteint peu à peu l’activité artistique du Mont, suivant le déclin même de l’art gothique.

D’ailleurs depuis Guillaume d’Estouteville, les abbés commendataires ne résident plus à l’abbaye, et, ne la considérant plus que comme une source de revenus, se désintéressent trop souvent de ses destinées.

Montée des Remparts vers la Tour du Nord.
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Montée des Remparts

Puis ce sont les guerres de religion qui rouvrent une longue période de misère et de périls. Le vieux Mont, malgré tout, tient bon ; il résiste à tous les assauts des Huguenots, notamment à celui de 1577 repoussé par la vaillance du sieur de Viques, à celui de 1591 où Montgommery, voulant jouer de ruse, fut pris tragiquement à son propre piège… Il faut lire ce sanglant épisode dans la langue savoureuse de Dom Jean Huynes !

À la faveur de tous ces troubles, un grand relâchement s’était introduit dans les mœurs des religieux trop mêlés aux soldats. En 1622, les Bénédictins durent disparaître et furent remplacés par les religieux réformés de la Congrégation de Saint-Maur.

Remparts : Bastillon et Tour du Nord.
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Remparts : Bastillon et Tour du Nord

Ceux-ci ramenèrent à l’abbaye l’ordre moral et la prospérité matérielle ; mais, hélas ! c’en était bien fini de l’Art ! Les moines de Saint-Maur partagèrent l’aveuglement déconcertant de leur siècle qui n’avait d’yeux que pour les Grecs et les Romains, tenant en profond mépris les « barbares » du moyen âge ! Ils n’ajoutèrent rien à la beauté de l’abbaye ; par contre, ils en mutilèrent trop souvent les merveilles.

Mais des temps plus durs encore allaient venir pour le Mont méconnu, et le vandalisme allait régner en maître.

La Révolution chasse les religieux, dépouille l’abbaye de ses richesses, en profane les souvenirs et les reliques… Certes, elle venge les victimes des « lettres de cachet » en débaptisant le vieux Mont-Saint-Michel pour le nommer Mont-Libre. Mais…. ô ironie des mots ! elle s’empresse d’envoyer croupir 300 prêtres dans ses cachots, qui n’en avaient pas tant vu en quatre siècles ! Et telle va être désormais la triste destinée du Mont ; l’abbaye, meurtrie et déshonorée, devient une prison, le glorieux sanctuaire un lieu d’infamie, jusqu’au jour où la Renaissance romantique ramène enfin au pied du Mont l’admiration repentante des hommes.

En 1863 le Mont-Saint-Michel est lavé de ses souillures, et depuis quarante ans d’éminents architectes travaillent à restaurer dans sa splendeur, à conserver pour la postérité ce legs merveilleux du passé. De nouveau, les pèlerins ont repris en troupes innombrables le chemin des grèves, non plus tous avec la foi de leurs devanciers, mais tous, quelle que soit leur foi, communiant dans le même sentiment du Beau.


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