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Biblioteko  Hippolyte  Sebert

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Le Mont-Saint-Michel — 8/12

Le Rocher, la Ville.

Le roc du Mont-Saint-Michel mesure 900 mètres de tour et 80 mètres de haut, mais l’abbaye qui le couronne surélève son profil à plus de 150 mètres au-dessus des grèves. En présence de ce pic de granit aigu, il n’y avait que deux solutions possibles : ou bien araser la pointe pour obtenir la plate-forme nécessaire aux constructions ; ou bien noyer cette pointe dans un pâté de substructions tel que la plate-forme se trouvât artificiellement exhaussée au niveau même du point culminant. Malgré la difficulté presque surhumaine d’une pareille entreprise à cette époque, c’est cette dernière solution qu’adopta la foi invincible des premiers bâtisseurs : ils ne voulurent rien sacrifier du piédestal choisi par saint Michel, et voilà pourquoi l’église se dresse de toute sa hauteur au-dessus de la pointe naturelle du rocher et l’aiguise de tout l’élan, de tout le jet superbe de sa flèche terminale.

Coupe transversale du Nord au Sud.
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Coupe transversale du Nord au Sud

Coupe longitudinale de l’Ouest à l’Est.
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Coupe longitudinale de l’Ouest à l’Est

Au-dessous de l’abbaye, le roc ne présente, au Nord et à l’Ouest, que des escarpements à peu près inaccessibles et restés à l’état de nature : les arbres du Petit-Bois y accrochent, au-dessous des murs gigantesques de la Merveille, une belle masse de verdure qui tranche joliment sur la nudité grise de tant de pierre amoncelée.

La Ville et l’Abbaye vues du Bastion de l’ Est.
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La Ville et l’Abbaye

C’est sur les flancs Est et Sud, un peu moins abrupts, que s’est agrippée la ville. Ceinturée étroitement dans ses remparts, qui vont se rattacher comme un collier à la masse dominante de l’abbaye, elle entasse les uns sur les autres ses vieux logis de granit et de bois, étriqués, enchevêtrés, entremêlés d’arbres pourtant et éclaircis çà et là de minuscules jardinets en gradins, petits carrés de terre rapportée grands comme le creux de la main et cultivés avec amour.

La Rue.
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La Rue

Restée délicieusement archaïque d’aspect, en dépit de quelques taches modernes, cette miniature de vieille ville fortifiée ne se compose guère que d’une rue, — la Rue, — une ruelle plutôt, étroite, tortueuse, escarpée, chevauchée de poternes et de porches, surplombée d’encorbellements, d’auvents et d’enseignes à potence et qui grimpe derrière le rempart, s’enroule en serpent au flanc du Mont jusqu’à la barbacane de l’abbaye. À droite, les maisons bordant « la Rue » s’adossent directement au rempart, où l’on accède principalement par l’ « escalier des Monteux » à côté de la Porte du Roi ; par ce degré on monte aussi à la petite rue du Musée qui conduit au Musée et à l’Abbaye. À gauche de « la Rue », ce ne sont qu’étroits passages, emmarchements, raidillons et venelles qui se faufilent au hasard entre les maisons et les jardinets. Nul danger d’ailleurs de s’égarer dans ce dédale : par tous les chemins on monte au Musée et l’on aboutit finalement à l’Abbaye, terme et couronnement de tout le Mont. Dès qu’on s’élève — n’importe par où, — délicieuses sont les vues plongeantes qu’on découvre sur la dégringolade des pignons, les vieux toits d’ardoise aigus tachés de mousses et de lichens, les murs de granit fauves où des bouquets de ravenelles et d’œillets sauvages jaillissent de toutes les fissures, les touffes vertes des arbres, les coins de jardinets fleuris, la rainure profonde de la rue…, tout un fouillis de vieille ville cascadant au flanc du rocher et cerclé, arrêté net au bas de sa chute par le crénelage du rempart au-dessus du désert de sable ou d’eau.

Plomb de pèlerinage, XVe siècle.
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Plomb de pèlerinage

Ampoule en plomb, XVe siècle.
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Ampoule en plomb

La population qui vit dans ce décor étroit et clos, mais en face d’un immense horizon, n’a pas varié depuis le plus lointain moyen âge ; elle a toujours vécu de l’abbaye et des grèves. Aujourd’hui comme jadis, ce sont des aubergistes qui hébergent le pèlerin, ce sont des marchands de « menues quincailleries » qui lui vendent un souvenir, et peut-être, devant les étalages modernes, est-il permis de regretter l’art naïf des vieux plombs de pèlerinages, des « imaiges et enseignes du benoist arcange Monsieur Saint- Michel ». Ce sont enfin de rudes et vaillants pêcheurs, familiarisés avec toutes les perfidies des grèves : hommes et femmes, ils vont jambes nues, armés de leur crochet et le « dossier » sur les épaules, ramasser ces jolies « coques » particulières à la baie qui figurent sur le blason de l’abbaye et sont devenues le signe distinctif des pèlerins ; ils vont encore traîner leurs « havenets » dans les chenaux et les mares, ou, laissant échouer sur le sable leur barque à fond plat, ils tendent entre deux marées des filets où le jusant laissera des soles, des mulets, des saumons…

La Porte du Boulevard,
au fond de la Porte du Roi.
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La Porte du Boulevard

La ville n’a qu’une seule et unique entrée, savamment défendue par un triple passage défilé ; elle s’ouvre au ras des grèves tout à l’Ouest de la ville, par la porte de l’Avancée (XVIe siècle) flanquée à gauche du corps de garde des Bourgeois. Cette première porte accède à la cour de l’Avancée où l’on voit encore les bombardes enlevées aux Anglais en 1434. Tournant à angle droit, on franchit la porte du Boulevard, ou de la Barbacane (1426) et l’on arrive enfin devant la troisième et véritable porte de la ville dont les deux autres ne sont que des ouvrages de protection : c’est la Porte du Roi, de superbe allure, avec ses mâchicoulis, ses coulisses de herse et son ogive timbrée des armoiries du roi, de l’abbaye et de la ville. Un escalier de pierre extérieur monte au Logis du Roi qui la surmonte et sert actuellement de mairie.

Le Logis du Roi et la Tourelle du Guet.
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Le Logis du Roi et la Tourelle du Guet

Cette porte franchie, on se trouve dans la rue du Mont, dont on ne peut gravir l’antique et rude venelle sans s’arrêter à chaque pas devant un coin charmant, une silhouette imprévue. La plupart des vieux logis sont encore désignés par d’anciens noms d’hôtelleries : à droite c’est le Soleil Royal, dominé par la jolie Tour du Guet ; en face la Teste d’Or, puis la Licorne qui enjambe la rue avec son vieux corps habillé d’écailles de bois et ses lucarnes couronnées d’épis. Plus haut, ce sont encore les Trois Rois, la Coquille, le Pot de Cuivre, la Sirène, la Teste Noire, le Dauphin, le Pigeon Blanc, les Trois Sauciers, enfin les Quatre Fils Aymon, et, tout en haut de la ville, la curieuse maison de la Truie qui file, près de l’ancien logis de Tiphaine Raguenel modernisé. Au-dessus de la rue se dresse l’abside de la petite église Saint-Pierre (XVe siècle), trouée d’un escalier qui monte au minuscule cimetière attenant : le culte de saint Michel, définitivement chassé de son abbaye, n’a plus que cet humble refuge au flanc du Mont qu’il a couvert de merveilles…

La Licorne.
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La Licorne

Cimetière et clocher
de l’église paroissiale.
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Cimetière et clocher de l’église paroissiale

Au lieu de gravir la rue et les pittoresques degrés qui la prolongent, on peut encore monter à l’abbaye par la corniche des remparts : un chemin de ronde suspendu entre la ville et les grèves, entre l’étroite ruche humaine et le désert sans limite, court à la crête du mur, suivant ses coudes et ses saillies, s’épanouissant sur la plate-forme de ses tours. Il débute à la Tour du Roi contiguë à la porte du même nom et dominant l’extrémité de la digue ; puis il touche successivement : la Tour de l’ Escadre ou de l’Arcade, la seule encore coiffée d’une poivrière, la Tour dite de la Liberté, la Tour Basse, la Tour Boucle et le superbe éperon triangulaire du Bastillon de l’Est, au pied duquel s’ouvrait la poterne appelée le Trou du Chat. Là commence la montée vers l’abbaye ; le chemin de ronde devient une grandiose enfilade de degrés qui se développent en ligne brisée au-dessus des grèves, toujours appuyés sur la couronne de mâchicoulis des remparts — ces remparts si puissants de lignes et si jolis de couleur avec leurs pierres rougeâtres, rongées par le temps et toutes fleuries de la flore des vieux murs. À mesure que l’on monte, la vue s’étend sur la baie, plonge sur la ville, tandis qu’au-dessus l’abbaye, la Merveille surtout, surgissent de plus en plus écrasantes de majesté. Aux saillants où l’escalier se replie, on trouve la Tour du Nord (XIIIe siècle), puis l’échauguette dominant le Petit-Bois, enfin la Tour Claudine, et, par cette majestueuse ascension du « Grand Degré », l’on arrive à la Barbacane du Châtelet, entrée de l’abbaye.


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